Fort d’albums tous meilleurs les uns que les autres, Anorexia Nervosa a réussi à s’imposer comme le leader incontesté du black metal en France. Nous ne pouvions donc résister à l’envie d’interroger Hreidmarr, le chanteur, sur leur monstrueuse nouvelle offrande malsaine, « Redemption Process » ainsi que sur le futur du groupe. Tout comme sa musique, les réponses du chanteur auront été exhaustives… Nous n’en attendions pas moins !

Entretien - Par Geoffrey
 
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Nous voudrions d’abord revenir sur la sortie cet été de Suicide Is Sexy, peux-tu présenter ce disque ainsi que sa superbe édition limitée ?
Suicide Is Sexy est une anthologie strictement limitée à 999 exemplaires, qui rassemble les premières démos du groupe dans des versions remasterisées, à savoir Nihil Negativum (1995) et Garden Of Delight (1993), qui était originellement sortie alors que le groupe se nommait encore Necromancia. Nous y avons ajouté quelques bonus, dont des titres live inédits de 1995, mixés par Stéphane Buriez de Loudblast, et une longue vidéo live de la même époque. Le tout dans une box signée par tous les membres du groupe et numérotée à la main. Le but était avant tout de faire plaisir à nos fans qui nous demandaient depuis longtemps une réédition de Nihil Negativum. Et comme nous ne voulions pas capitaliser sur de vieilles bandes, nous y avons ajouté un maximum de choses, de façon à ce que Suicide Is Sexy devienne un témoignage exhaustif, complet, des débuts du groupe. Nous tenions aussi à ce que ce disque reste en marge par rapport au reste de notre discographie, d'où l'artwork un peu décalé, l'absence de promotion, de communication et de vraie distribution sur cette sortie.

Parlons du nouvel album. Comme à l'habitude avec le groupe, rien n'a été laissé au hasard, on peut sentir derrière chaque note de longues heures de travail. Comment s'est passée la composition ?
Ca a été très long et très fastidieux. A vrai dire, c'est la première fois que nous passons autant de temps sur un album, à tous les niveaux. Mais je crois que nous avions vraiment besoin de le faire. Redemption Process est en quelque sorte un nouveau départ pour le groupe. Nous avons traversé une longue période de remise en question après New Obscurantis Order, nous sentions que nous étions arrivés à la fin de quelque chose, et qu'il était un peu vain de continuer dans cette voie. Nous avons donc cherché à nous renouveler, nous avions envie de retrouver une certaine fraîcheur, de nous lâcher. New Obscurantis Order avait un côté très contenu, très noir, très froid, et avec ce nouvel album, nous avions envie d'aller vers la lumière. Lorsque nous avons commencé à travailler sur les nouveaux morceaux, nous avons commencé par procéder exactement comme pour les autres albums, Stefan bossait seul dans son home-studio, et lorsqu'il avait fini un morceau, il nous le soumettait. Nous avons maquetté beaucoup de titres de cette façon, qui au final n'apparaissent pas sur l'album, et puis, il y a eu une sorte de déclic, nous avons tous commencé à nous investir dans l'écriture, ce qui est une première depuis Sodomizing the Archedangel. Stefan reste évidemment le principal compositeur, mais tout le monde a apporté sa contribution, "The Shining" a par exemple été co-écrit par Pier, "The Sacrament" par Xort, etc. Nous avons énormément travaillé sur les structures des morceaux, le but était d'écrire de "vraies" chansons, d'éviter à tout prix le syndrome "copier/coller" de riffs qui semble très à la mode dans le metal extrême actuel… Et puis, comme je le disais, nous nous sommes complètement lâchés sur cet album, nous nous sommes permis pas mal de choses que nous n'aurions jamais osées auparavant, nous avons laissé ressortir nos vieilles influences, notamment les premiers Entombed/Nihilist ou Bathory. C'est d'ailleurs ce qui donne ce côté très heavy, très lourd à l'album… Tout cela a pris trois ans, mais je pense que ça en valait la peine, de toute façon, on se fout un peu des impératifs du marché, sortir un disque par an pour ne pas se faire oublier, ce n'est pas trop notre truc, on fait de la musique, pas du consommable.

Une fois de plus, l'album a été enregistré au Drudenhaus studio. Comment cela s'est-il passé ?
Ca a été assez différent cette fois, car nous avons aussi changé notre approche de l'enregistrement. On voulait une production très ample et très organique, qui respire… A l'opposé des prods ultra-cliniques à la mode en ce moment. On a un peu pris le contre-pied de ce qui se fait de nos jours, à savoir, on prend un groupe qui ne joue pas très bien, dont les morceaux ne sonnent pas vraiment, et on trafique le tout en studio à grands coups de pro-tools, pour arriver à un résultat qui fait à peu près illusion. Nous, on a appliqué la méthode Colin Richardson, qui est assez simple: le groupe doit sonner tout seul, en répétition, avec ses amplis, avant d'entrer en studio. Si les morceaux sonnent déjà à l'origine, sans artifice, l'album sonnera. Ca nous a évidemment demandé pas mal de travail en amont, puisque ça voulait dire maîtriser nos nouveaux morceaux très complexes à la perfection, les faire couler de source, et puis, tester pas mal de choses au niveau instruments et amplis. Niveau guitare, nous sommes d'ailleurs revenus à des choses très classiques: Marshall, Gibson, Boss Heavy Metal… La basse et la batterie on été enregistrées live, nous n'avons pas utilisé de triggs, et nous avons limité les effets de post-production au strict minimum. Tout cela fait partie intégrante de ce besoin de nous réinventer auquel je faisais allusion tout à l'heure. Nous sommes vraiment satisfaits de la façon dont sonne cet album, et à vrai dire, avec un peu de recul, c'est même la première fois que nous le sommes autant… Je pense que la production est vraiment en symbiose totale avec le contenu de l'album, et ça a toujours été pour nous le plus important.

Et encore une fois, pas de producteur extérieur, vous avez tout fait tout seuls. Est-ce parce que personne ne peut comprendre assez votre musique pour l'enregistrer comme il faut, ou vous voulez vraiment gérer tout le processus ?
Pas de producteur extérieur, en revanche, l'album a été masterisé au Cutting Room, en Suède, par Björn Engelmann, qui a déjà bossé avec des groupes comme Rammstein ou In Flames. C'est d'ailleurs la première fois que l'on "délègue", même niveau mastering! Mais nous ne sommes pas pour autant contre l'aide de quelqu'un d'extérieur au groupe, si nous avons procédé de cette façon jusqu'à présent, c'est plutôt par la force des choses, pour des raisons évidentes de budget, d'emploi du temps et autres, qui ont fait qu'il était plus simple pour nous de nous occuper nous-même de la production. Même s'il est évident que nous aimons tout contrôler de A à Z, et que nous n'abandonnerons jamais complètement notre musique aux mains de quelqu'un qui n'est pas nous, nous envisageons tout à fait de faire intervenir un producteur, ne serait-ce que pour apporter de nouvelles idées, un peu d'air frais, ou le recul qui nous fait toujours défaut lorsque nous bossons depuis deux mois sur un album. Nous y avions même pensé pour Redemption Process, puisque à la base, Joey Jordison, le batteur de Slipknot, avec qui on s'entend très bien, devait mixer l'album. Ca ne s'est pas fait pour des raisons de planning, nous étions sérieusement à la bourre, et lui ne disposait que de très peu de temps avec l'album de Slipknot… Peut-être la prochaine fois…

Les parties symphoniques sont monstrueuses, je suppose que la prochaine étape pour le groupe sera d'enregistrer avec un véritable orchestre ?
Ce n'est pas vraiment à proprement parler un rêve absolu. Je sais que c'est très à la mode en ce moment, mais lorsque j'écoute le résultat, la plupart du temps, ça m'évoque plus le générique de la croisière s'amuse qu'autre chose… Le problème est que mobiliser un orchestre entier coûte très cher, et qu'en général, les groupes rentabilisent le temps au maximum, les musiciens improvisent sur des morceaux qu'ils découvrent, personne n'a le temps de vraiment travailler les arrangements en profondeur… Donc si c'est pour bâcler le tout en deux jours, ça ne nous intéresse pas. Et ajouter un pauvre quatuor à cordes pour pouvoir coller un sticker sur le CD non plus. Si un jour nous avons vraiment le moyen de le faire dans de bonnes conditions, nous le ferons, mais pour l'instant, on s'en sort très bien sans.

Quels sont les sujets que tu abordes sur ce nouvel album ?
Ca varie selon les morceaux, il y a beaucoup de contrastes, les textes sont très cyniques, c'est une sorte de regard désabusé, à la fois triste et vaguement amusé sur plein de petits détails symptomatiques de la fin programmée du monde occidental… Le leitmotiv de l'album est une sorte de quête d'absolu, de pureté, physique et spirituelle, un chemin de croix à travers notre civilisation déicide, pour retrouver un peu de lumière, d'où le titre.

J'adore le groupe X Japan (surtout le morceau " The Art Of Life "), dont vous reprenez le " I'll Kill You ", extrait de Vanishing Vision, pour l'édition japonaise de Redemption Process. En sachant que ce groupe est l'image même du Visual Kei, peut-on faire un parallèle entre votre démarche visuelle et la leur ? En quoi ce groupe vous intéresse t il ?
Un parallèle, je ne sais pas, étant donné que le Visual Kei est un mouvement basé avant tout sur l'image, sur l'esthétique, la musique est presque accessoire, et varie du tout au tout selon les groupes. Pour nous c'est différent, tous les éléments qui font Anorexia Nervosa sont absolument indissociables, ils forment un ensemble indivisible, la question ne s'est d'ailleurs jamais posée en ce qui nous concerne, tellement ça nous semble couler de source. Nous avons repris ce morceau simplement parce que nous apprécions cette scène, et particulièrement X-Japan, qui est un groupe culte pour qui j'ai beaucoup d'admiration. Nous avons quelques fans hardcore au Japon, parmi lesquels certaines personnalités de la scène Visual, et vu que nous étions obligés par contrat de fournir des bonus tracks à notre label japonais, nous nous sommes dit que ce serait une bonne idée pour faire parler de nous là-bas, d'ailleurs, à ma connaissance aucun groupe européen ne l'a encore jamais fait.

Les premières photos promo semblent d'ailleurs plus soft visuellement… Vous vouliez changer ou est-ce un processus naturel ?
Non, en général, on ne se pose pas ce genre de question, on ne s'est jamais dit "tiens, comment on va s'habiller pour cet album?", ça vient naturellement, on regarde comment on est habillé dans la vie de tous les jours, et à peu de choses près, on apparaît tel quel sur les photos, on essaie juste de rendre le tout cohérent, mais ça s'arrête là. Notre image a simplement évolué parallèlement à notre musique et à nos personnalités, ce qui me paraît logique.

Et sur la version française, une reprise d'Indochine, groupe jouant aussi sur une certaine ambiguïté sexuelle…
C'est un groupe dont on est fan depuis l'adolescence, j'ai toujours bien aimé leur côté frondeur, et ça faisait un moment déjà que l'on parlait avec Stefan de reprendre un de leurs tubes… A la base, c'était plus pour le fun qu'autre chose, on était en pleine phase de préproduction du nouvel album, on avait besoin de faire un peu retomber la pression… Et puis en réécoutant "Les Tzars" lors d'une soirée bien arrosée, on s'est fixé sur ce titre, le lendemain, Stefan m'a appelé pour me dire qu'il l'avait maquetté. J'ai aussitôt posé des voix dessus, on a fait écouter notre version à des gens de notre entourage pour un peu tester les réactions, et tout le monde a complètement accroché. Ca nous a décidés à finalement nous servir de ce morceau. Ce qui est intéressant, et assez difficile, avec ce genre de reprise un peu décalée, c'est de parvenir à se l'approprier sans en dénaturer l'esprit originel, et en cela, je suis très fier de notre version.

Anorexia Nervosa est clairement parmi le fleuron mondial des groupes de black metal. Quelles sont vos attentes pour ce nouvel opus ?
Nous n'avons pas d'attentes particulières, du moins, nous n'avons jamais établi de "plan de carrière" ou ce genre de connerie. On se contente de jouer la musique que l'on ressent au fond de nos tripes, et après ça marche ou pas, mais c'est secondaire. Le plus important pour nous, c'est de pouvoir être fiers de nos albums. Après, l'album a l'air de très bien se vendre pour le moment, s'il nous permet de décoller, tant mieux, j'en serai le premier ravi, bien évidemment. N'importe quel musicien qui dit le contraire est un menteur.

Là, je voudrais revenir sur quelque chose qui m’a toujours énervé, que l’on ne cesse de vous comparer à Cradle Of Filth. Certes tu n’as jamais caché ton attachement au groupe (comme la fois ou, pour Hard N’ Heavy, tu as interviewé Dani), mais pour moi, il n’y a jamais eu lieu à des comparaisons. Penses-tu que cette comparaison était utile pour les gens, qui veulent toujours trouver des repères, ou est-ce tout simplement par méconnaissance de leur part de la scène black ?
Je ne sais pas, je pense que c'est un passage obligé pour tout jeune groupe. Les gens ont besoin de repères, c'est normal. A leurs débuts, Mötley Crüe était catalogué "clone de Kiss", au final, ça n'a pas eu de grande incidence sur leur carrière, et la comparaison s'est éteinte d'elle-même, parce qu'au fond elle restait très grossière et superficielle. Je pense qu'à moindre échelle, on est dans le même cas de figure, et qu'on a plus grand chose à prouver de ce côté-là.

Une tournée est prévue, peux-tu nous en parler ?
Nous avons commencé par quelques dates de chauffe, il y en aura encore quelques-unes d'ici la fin de l'année, puis à partir de janvier, on va commencer à écumer les routes de France, pas mal de dates sont prévues, je pense que ça nous amènera jusqu'en avril. Après, courant mai, si tout se passe bien, nous allons essayer de tourner en Europe, je ne sais pas encore avec qui, et enchaîner avec quelques festivals. Programme assez chargé, donc!