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La sortie d’Ars Talionis, nouvel album de Balrog, était l’occasion de s’entretenir avec un  Sébastien Tuvi très loquace pour discuter un peu black metal, satanisme et puis quand même aussi de Balrog.

Interview à paraître également  dans le Metal Observer FNAC n°15 de Janv. 2008

Interview de Sébastien Tuvi aka BST (guitares / vocals), par Julie
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Quels ont été les retours du premier album ?
Kill Yourself a été très peu distribué, il a été édité à 1000 copies, on en a vendu quelques-uns mais sur un réseau très peu étendu. Le précédent, chez Holy, BST, s’est vendu modestement mais on avait des attentes asez modestes. Les retours ont été assez mitigés, il y a des gens qui ont bien aimé, des gens qui ont trouvé ça moyen, et d’autres qui n’ont pas aimé. La plupart des anciens fans de Garwall n’ont pas du tout accroché parce qu’ils s’attendaient à quelque chose qui aille dans la continuité, de heavy, de technique. Mais ce que ces gens-là ne savaient pas forcément, c’est que Balrog est un projet qui existait depuis 1999, qui n’avait jamais rien eu à voir avec Garwall. Donc je savais dès le départ que cet album n’aurait rien à voir et qu’il n’avait pas du tout la même démarche. Donc personnellement, je n’avais pas de grandes attentes en terme de vente et de réaction du public. Ma démarche, c’était de faire mon truc, sans la direction de personne, sans faire le moindre compromis pour plaire. J’étais assez content du résultat. Avec du recul, il y a du bon et du moins bon mais je suis quand même content de l’avoir fait de cette manière-là, de l’avoir entièrement produit et d’avoir été le seul maître à bord. Concernant les ventes, on s’attendait à en vendre autour de 1000, et on en a vendu autour de 1000.

Quelles étaient tes idées pour le nouvel album notamment pour la composition ?
Après que la composition de l’album précédent était terminée, je ne savais pas trop dans quelle direction aller, j’avais presque envie de laisser tomber. Balrog, c’est un projet qui est toujours un peu entre le stand-by et même l’abandon complet. Et puis finalement, j’ai commencé à composer avec ma guitare et l’idée, c’était de faire une musique sale, pas forcément avec une production crade mais juste déjà que la musique en elle-même soit sale, avec des accords très chargés en dissonance, une musique qui inspirait un malaise en elle-même sans avoir  recours déjà à l’imagerie ou à la production. Une base déjà angoissante et malsaine.

C’est ce qui justifie le choix de la production qui est assez particulière, assez aiguë ?
La production a suivi assez naturellement. Ca a été pas mal influencé par la manière d’enregistrer et les musiciens qui sont avec moi, un tout nouveau line up pour cet album. Par exemple, après avoir fait quelques prises, on s’est dit que pour la batterie, on n’allait pas utiliser trop de triggers, on a quasiment tout enlevé au mix, pour avoir un son de batterie un peu moins défini, mais beaucoup plus naturel, beaucoup plus brut. Au cours de l’enregistrement, on a trouvé plus cohérent de faire quelque chose de brut, de plus sale, de moins clinique que tout ce qui se fait à l’heure actuelle. Je pense que ce qui m’a pas mal poussé à aller dans cette direction, c’est que j’ai un gros ras-le-bol des productions actuelles de groupes américains ou scandinaves qui ont tous la batterie entièrement synthétique, complètement recalée par ordinateur, qui fait que tout sonne parfait. Que tu sois un bon ou un mauvais batteur, on ne fait plus la différence. Tout doit sonner aseptisé et finalement d’une production à l’autre, tout commence à se ressembler. Notre démarche, c’était plus d’avoir quelque chose d’authentique, que la production mette en valeur tous les défauts de la musique mais qu’au moins, ça soit une marque de reconnaissance. Le but n’était pas de rendre les choses sales mais plutôt de les laisser comme elles étaient et de ne pas chercher à les embellir ou à  rattraper la moindre erreur. Si tu compares les productions, celle du précédent était beaucoup plus clinique. Alors que la nouvelle est beaucoup plus organique, vivante, beaucoup moins carrée.

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Peux-tu me parler des sujets abordés dans cet album ?
Le précédent était plus basé sur la destruction totale de toute vie sur terre, quelque chose de très apocalyptique, et là ça reprend un peu cette idée d’apocalypse mais au niveau de l’âme d’un être humain. Ca parle beaucoup de déchéance,  de sentiments négatifs, de haine, de vengeance. La notion de rancœur et de vengeance est un thème assez récurent dans Balrog. Et ici, on atteint les penchants les plus malsains. Le titre d’ouverture de l’album parle de faire de la torture d’un être humain un acte purement sexuel. C’est pas mal axé sur les diverses déviances et tout ce qu’il peut y avoir de plus sale dans un être humain.

Pourquoi garder cette alternance textes anglais / textes français ?
Ca s’est fait assez spontanément en fait. Je le fais de plus en plus parce que je m’exprime mieux en français évidemment et je trouve que ça donne un charme particulier. C’est vraiment par rapport aussi à la sonorité de la langue, qui est peut-être un peu plus articulée, un peu plus hachée donc un peu plus agressive que l’anglais. On n’est pas le seul groupe à le faire, mais par rapport à tout ce qui sort dans le black européen, ça donne peut-être un petit point de repère. Je trouve qu’en général, utiliser des langues autre que l’anglais dans le black metal, c’est quelque chose qui peut apporter une touche un peu originale. Le français  a une connotation un peu poétique peut-être. J’aimerais utiliser le latin si j’avais quelques notions. Il y a un morceau en hébreu. C’est une langue qui pour moi est teintée de mysticisme, c’est lié aux origines du monothéisme. Je suis attiré par les langues en général, j’ai utilisé le français parce que c’est la langue que je maîtrise le mieux, ensuite l’anglais, et je serais assez ouvert à utiliser d’autres langues si j’en ai l’occasion.
 
Tu serais tenté de faire de plus en plus de textes en hébreu sur les prochains albums ?
Oui je le réutiliserai peut-être. Je pensais peut-être utiliser de l’arabe littéraire parce qu’il y a une sonorité assez particulière, et dans un cadre black metal, ça pourrait rendre quelque chose de très agressif, de très intéressant. Avec toujours des paroles axées sur l’idéologie religieuse qui donne ce côté controversé.

Quelle est ta vision de la scène black metal française ? Que penses-tu d’autres groupes comme Blut Aus Nord, Glorior Belli ou Deathspell Omega ?
Je suis un grand fan de Deathspell Omega, j’adore tout ce qu’ils font depuis Monumentum Requires, Circumspice. Je trouve que c’est un des groupes de black metal les plus brillants. Blut Aus Nord m’a beaucoup influencé aussi surtout les albums comme The work which transform God où c’est très dissonant, très émotionel. Glorior Belli, j’ai écouté le dernier album que j’ai trouvé très bon même si c’est peut-être un peu moins original. J’ai beaucoup de respect pour des groupes comme Antheus, Arkon Infaustus, Merrimack.

L’imagerie black metal est quelque chose qui t’est chère ?
Oui, mais quand je dis « imagerie black metal », je ne veux pas forcément parler des clichés comme le maquillage, ce n’est pas ça qui fait l’authenticité d’un groupe. C’est plus de dégager une image sombre et faire que le groupe ait une espèce d’aura qui le suive et autre chose que juste de la musique. Pour moi, c’est quand même une musique qui implique plus que seulement des notes. Il y a des idées derrière, on fait un art qui est inspiré par quelque chose qui est réel, ce n’est pas juste du divertissement.

Et toi, qu’est-ce qui t’inspire ?
Pour résumer vraiment le tout, c’est la notion de Satan au sens large à savoir la remise en question de l’ordre établi, la remise en question de la notion de bien et de mal. Je vois Satan comme quelque chose de beaucoup plus général que le personnage de la mythologie judéo-chrétienne ; je vois plutôt ça comme l’élément perturbateur de tout ordre établi. C’est une forme de remise en question perpétuelle de tout ce qui est vu comme sacré par la société bien pensante. Je pense que c’est ce que le black metal représente.

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Et tu n’as pas peur des connotations que le mot satanisme peut avoir ?
Le souci qu’il y a avec le mot satanisme, c’est qu’il n’y a pas vraiment une définition. Même si on devait concevoir une entité globale qui s’appelle Satan, je ne pense pas que cette entité ait besoin d’un groupe de black metal qui vend 1000 CD pour être vénérée. J’ai ma manière de croire en cette entité mais je vois plus ça comme quelque chose qui est à l’image de l’homme en général et je pense que chaque souffle de vie d’un homme est plus une preuve de l’incarnation de Satan sur terre qu’une croix renversée ou un pentagram porté sur un T-shirt ou brandi pendant un concert. Après, que les gens nous jugent à tort ou à travers par rapport à cette notion, à cette image, à cette idée de Satan, je m’en moque un peu pour être honnête. Je pense que si on a une mauvaise image, une mauvaise réputation pour les gens de la société bien pensante et que ça nous attire plus ou moins des problèmes de censure, c’est la meilleure promotion qui nous arrivera, et je ne le vois uniquement que comme une bonne promotion.

Justement tu n’as pas envie de donner ta propre définition, que le gens puissent comprendre l’idéologie qu’il y a derrière ?
Ce que j’exprime par rapport au satanisme est très proche de la plupart des courants. Je ne parle pas d’occultisme mais au niveau philosophique. Les courants philosophiques liés au satanisme sont assez proches de mon raisonnement. Je ne cherche pas à répandre une idéologie, j’ai mes propres idées, ma propre conception de la chose. Je ne me sers pas de la musique comme outil de propagande parce que je ne pense pas que Satan ait besoin d’un petit groupe de black metal pour exister et pour être vénéré sur terre.

Tu penses que le satanisme est plus une définition personnelle et qu’il n’y a pas de définition générale ?
Oui exactement. Sur ce sujet-là, ce que pensent d’autres personnes ne m’intéresse pas forcément. C’est quelque chose que chacun acquiert après réflexion, après méditation.

C’est plus une philosophie de vie ?
C’est surtout une manière de réfléchir, une manière de concevoir les choses en général. Ca a probablement une influence sur ma manière de me comporter dans la vie de tous les jours mais je n’affiche pas ce genre d’opinions à tort et à travers. C’est quelque chose que je garde pour moi.

Pour parler un peu plus de Balrog, comment décrirais-tu ton groupe ? On a un peu cette vision de toi qui compose tout dans le groupe. Est-ce que les autres apportent aussi leur petite touche ou est-ce que c’est toi qui prends tout en charge ? 
Quand j’ai commencé, j’étais tout seul. Sur le premier album, c’est juste moi et une boite à rythmes et quelques instruments et je me suis débrouillé comme ça. Le line up actuel colle vraiment, ce sont des gens qui ont des idées très proches des miennes au niveau de la musique, il y a vraiment une osmose qui s’est faite. Et ça progresse de jour en jour, ça fonctionne vraiment bien avec cette formation-là. Ils s’expriment dans la même direction que moi, ils comprennent ce que j’attends d’eux donc je n’ai pas à les forcer à faire quoique ce soit parce qu’ils ont compris le concept et ils le respectent. Je continuerai à composer toute la musique intégralement. Après, dans la mesure où ils vont jouer, interpréter ces compositions sur scène et sur album, leur jeu apporte une touche personnelle. Chaque membre a vraiment apporté quelque chose au son de cet album. Ils ont une certaine liberté au niveau de l’interprétation, mais c’est moi qui écris toutes les partitions de base.

Pour revenir à ce que tu disais, concernant le fait que Balrog était toujours un peu en stand-by, est-ce la raison pour laquelle on vous voit peu sur scène ?
C’est aussi du au fait que j’ai un autre groupe qui tourne beaucoup (Aborted). Avec cet album, pour la première fois depuis très longtemps, on a des opportunités de concerts et des offres intéressantes. Mais c’est un groupe qui ne fera jamais un grand nombre de dates et qui ne fera jamais de longue tournée parce que physiquement, c’est tellement extrême que je ne sais pas si on arriverait à tenir. Et aussi par rapport à l’image que je veux donner de ce projet, je trouve plus cohérent d’être rarement sur scène, uniquement dans des occasions bien particulières, des affiches bien ciblées.

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Tu préfères peut-être aussi laisser plus de place à Genital Grinder ?
A vrai dire, on ne fait pas énormément de concerts non plus avec Genital Grinder . C’est plus un hobby pour nous, un groupe de divertissement. On est tous passionnés de death old school. On le fait pour se faire plaisir. On ne cherche pas à faire beaucoup de dates non plus même si ce serait plus réalisable au niveau physique par contre.

Mais ça ne te frustre pas quelque part  que tu ne puisses pas atteindre un niveau supérieur avec tes groupes, tes propres projets, même si tu composes une grande partie maintenant dans Aborted ?
Non pas vraiment. Comme je te l’ai dit, je ne me suis jamais mis en tête de faire beaucoup de dates avec Balrog pour pas mal de raisons et des raisons d’image comme je t’ai expliqué. Avec Genital, ça serait compliqué avec les situations professionnelles de chacun, mais c’est un groupe que je veux continuer à faire pour le plaisir et rien que pour le plaisir. Par rapport à Aborted, c’est vrai que ce n’est pas un groupe que j’ai créé, je suis même assez nouveau dans le groupe. Mais je suis arrivé à un moment où il n’y avait plus de compositeur dans le groupe donc c’est vrai que j’ai été directement très impliqué dans la composition. Et même si les chansons que je joue n’ont pas été écrites par moi ou ont été écrites bien avant que j’intègre le groupe, je n’ai pas de problème d’ego par rapport à ça. Pour moi, c’est surtout une opportunité de faire de la musique dans de bonnes conditions professionnelles, avec  des gens qui comme moi, veulent s’investir à fond dans la musique. C’est une musique qui me passionne aussi et je n’ai pas de problème d’ego par rapport au fait que je n’ai pas créé ce groupe. Au contraire, le fait qu’Aborted soit très associé à l’image de Sven est très  relaxant parce que c’est plus lui qui a une pression sur les épaules ; nous, les musiciens, sommes plus dans l’ombre. Je ne sais pas si je supporterais d’être frontman dans un groupe de la taille d’Aborted par exemple.

C’est peut-être pour ça aussi que tu ne cherches pas à mettre tes deux autres groupes en avant de la scène ?
Voilà, exactement. Je vois aussi Balrog comme un groupe intègre. Ca fait peut-être prétentieux de dire ça comme ça mais je vois ça un peu comme une œuvre d’art. Je ne veux pas l’entacher par des notions mercantiles. Je ne veux pas que ce que j’exprime à travers ce groupe-là soit moins pur. Si on cherchait à faire plus de concerts et à toucher un public plus large, ça finirait par avoir une influence sur la manière d’écrire.

Et tu penses que tu serais influencé par les attentes des gens ?
Oui, surtout s’il y a une maison de disques plus grosse qui a des attentes, ça finirait par mettre une pression et par influer sur la façon d’écrire la musique. Et c’est hors de question pour Balrog.

Balrog – Ars Talionis
Holy Records

Site : http://www.myspace.com/balrogbm