HEAVEN & HELL

Speak with the Devil...

Impossible de passer à côté de l'évènementiel retour aux affaires de Black Sabbath version Dio, alias Heaven & Hell. Après une tournée ultra-réussie en 2007, le groupe débarque avec un nouvel album de heavy un peu doom dont lui seul a le secret. Ronnie James Dio, Tony Iommi, Geezer Butler, Vinny Appice : vous parlez d'un line-up mythique ! À défaut de surprendre, The Devil You Know, l'album de la reformation, donne tout ce qu'on attend de lui : le meilleur de Black Sabbath toutes époques confondues sur une galette au son actuel, puissant et mettant en avant la voix d'une légende : R.J Dio. Dire qu'il a influencé la quasi-totalité des chanteurs de heavy-metal est un euphémisme. Et pourtant, c'est un bonhomme simple, modeste et tout ce qu'il y a de plus sympathique que nous avons eu au bout du fil pour évoquer ce retour gagnant de  Heaven & Hell. Mesdames et Messieurs, une ovation pour la légende : RONNIE JAMES DIO !  

Interview parue également dans le Metal Obs' 31 de juin 2009

Entretien avec Ronnie James Dio (vocaux) – Par Yath – Live pix : Breizhjoker (Hellfest 2009)
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Salut Ronnie ! The Devil You Know vient de sortir, comment tu te sens ? Encore un peu d'appréhension ou de stress après toutes ces années ?
Tu sais, c'est toujours le même processus quand t'y penses. Tu t'investis à fond dans une aventure, tu sais ce qui fonctionne, ce qu'attendent les autres membres du groupe, mais c'est difficile de voir les choses d'un point de vue extérieur. On espère évidemment que ce que l'on est en train de créer va plaire, mais il m'est impossible de me projeter sur la réaction du public. De l'intérieur, on est réellement satisfaits de The Devil You Know et comme je t'ai dit, j'espère que les gens vont autant l'apprécier. Mais c'est devenu quelque chose auquel je suis habitué, donc même si on attend impatiemment les premières réactions, ça va plutôt bien.

Pourquoi avoir choisi de prendre le nom Heaven & Hell plutôt que Black Sabbath ? Est-ce pour permettre aux autres membres de tourner avec Ozzy sous le nom Black Sabbath ?
Je ne pense pas que ce soit par rapport à ça. Tu sais, les choses sont très claires entre nous, si le groupe veut tourner avec Ozzy, ça ne me dérange absolument pas. On est très relax là-dessus. Ceci dit, on a plein de shows à donner pour le nouvel album, donc la question ne se pose même pas. On a pris le nom Heaven & Hell simplement pour éliminer toute possibilité de confusion avec les gens. Ils ne doivent pas confondre ce qu'on fait aujourd’hui avec l'ancien répertoire de Black Sabbath, celui d'avant le fameux album Heaven & Hell (1980). Je n'ai pas envie d'entendre dans le public des gens crier « jouez War Pigs, jouez Ironman » (rires) ! On va seulement jouer des chansons à partir de la période où j'ai débuté dans le groupe, c'est-à-dire à partir de 1979. On voulait juste éviter toute confusion.

Raconte-nous un peu le déroulement des événements : vous avez redémarré l'aventure avec les autres membres du groupe il y a 2 ans, vous vous êtes retrouvés pour sortir un best-of, c'est ça ?
C'est exactement ce qui s'est passé, et sans aucune arrière-pensée ! On voulait écrire deux chansons. Le label nous a réclamé deux vieilles chansons à ajouter à la compil', mais on n'en avait pas et ce n'est pas comme ça qu'on fonctionne, on n'allait pas ressortir de titres de seconde zone. Et on ne voulait pas non plus que les fans achètent un best-of avec les mêmes chansons, fussent-elles remasterisées ou captées en public, sans nouveautés. On s'est donc mis à composer deux chansons et mon dieu que c'était facile ! Tout a coulé de source, simplement, et on s'est retrouvé dans cette dynamique qu'on avait déjà à l'époque des bon vieux jours.

Et la magie était telle que vous vous êtes retrouvés avec une tonne d'idées et vous vous êtes dit : « on peut en composer plein » !
Ouais, mais ça commence toujours comme ça, non (rires)? Surtout avec Tony ! Ce mec est tellement prolifique ! Il débarque toujours avec une tonne d'idées, sans savoir si elles sont bonnes ou pas. Et après tout, impossible de savoir avant de creuser un peu ces idées, non ? À moins d'avoir un égo démesuré (rires) ! Bref, il ramène ses idées et au fur et à mesure, on se disait « merde, Tony, t'as de sacrés riffs, là » ! Et on a commencé à attaquer ces compos, à trouver des mélodies, les paroles... Ça a franchement été aussi simple que ça. On est vraiment une belle équipe avec Tony, Geezer et Vinny, parce qu'on sait ce qu'on veut et on va droit au but, sans relâche, jusqu'à ce qu'on obtienne une chanson parfaite, sans failles.

HEAVEN & HELL

Et sur scène ? La magie a opéré immédiatement aussi ?
Tout à fait. Dès les premières dates, on s'est senti super bien sur scène, peut-être même mieux que dans le temps. Plus on jouait, plus on s'amusait, et même si on n'osait pas tirer de plans sur la comète, on ne pouvait refuser aucune offre de concert tellement on s'amusait ! On a pris les choses tranquillement. Tu sais, on a retenu une bonne leçon de notre passé : plus tu prévois les choses en avance, plus ça a de chance de s'écrouler. Donc on a fait les choses progressivement, étape par étape, sans trop nous avancer. Quelques dates pour lancer la compil', puis 9 dates un peu partout dans le monde. Ensuite, on s'est dit qu'on pourrait faire un album. Attention, « pourrait », et pas « devrait ». On s'était tellement amusé sur la route, et sur scène, qu'on a naturellement décidé de faire ce nouvel album.

Et comment avez vous composé The Devil You Know ? Vous n'habitez pas tous au même endroit, toi tu es à L.A et Iommi réside en Grande-Bretagne !
On a tout composé chez moi, dans mon démo-studio. On a utilisé des Pro-Tools chez moi, avec le même ingé-son qui allait produire l'album et qu'on a fait venir à L.A. On se réunissait tous les quatre quotidiennement et on travaillait les chansons. On carburait à peu près à une chanson par semaine. On a vraiment essayé de contrôler notre environnement, notre communication, pour être le plus efficace et le plus créatif possible et que tout le monde puisse apporter sa pierre à l'édifice. Vraiment, on se sent tous coupables tellement les choses ont été faciles (rires) !

Et j'ai cru comprendre que l'enregistrement en Grande-Bretagne a été tout aussi rapide !
On était surtout extrêmement préparés ! On avait tout préparé jusqu'aux moindres détails chez moi et il ne restait plus qu'à enregistrer les compos ! On a réservé le studio pendant un mois et demi et on a fini en moins de trois semaines ! On connaissait parfaitement les chansons, c'est tout...

Et ces compos sont vraiment intéressantes parce qu'on y retrouve un peu tout ce qu'a fait Black Sabbath par le passé.
Je suis d'accord, on y retrouve effectivement un peu de ce qu'on avait fait ensemble, mais aussi ce qu'avait fait Tony avec Black Sabbath avant mon arrivée. Mais oui, certainement, on y retrouve un peu de Heaven and Hell, de Mob Rules et de Dehumanizer. Je pense que The Devil You Know est la parfaite combinaison de ces trois albums...

Le son est très puissant aussi. C'est un message aux jeunes groupes ? Leur faire comprendre que c'est encore vous le groupe le plus heavy au monde ?
(rires) Non, non pas du tout ! On n'a rien à prouver, tu sais, à part à nous-mêmes. On veut juste être bons dans ce qu'on fait et on ne veut pas décevoir un des autres membres du groupe, que ce soit en termes de compos ou sur scène. On s'apprécie et on se respecte énormément, et on veut se prouver qu'on sera toujours là pour aider ce groupe. C'est quelque chose de très spécial et qui nous permet de tirer le groupe vers le haut. On a suffisamment merdé par le passé pour retenir la leçon : plus un groupe est uni, plus il pourra se surpasser, et avec le temps, la chimie entre les membres s'améliore et le résultat sur les compos se fait sentir ! On n'est pas en compétition avec les jeunes groupes ni avec qui que ce soit, juste avec nous-mêmes pour être les plus forts possible. On sait que si on est totalement satisfaits de nous, alors le public appréciera sans doute.



Il y a plusieurs types de chansons sur The Devil You Know : des rapides, des mid-tempo et des plus lentes. Dans lesquelles tu te retrouves le plus ? Est-ce que tu as une préférence particulière ?
On ne compose pas des chansons en pensant faire du « doom » ou des trucs plus rapides. On écrit juste la chanson qu'on a ressentie à un moment donné. Et le fait qu'elle soit rapide ou lente, c'est généralement mon chant qui le définit, par la mélodie. Mais je comprends ce que tu veux dire parce qu'effectivement, au final, il y a plusieurs types de chansons sur l'album. Personnellement, je préfère les chansons plus lentes, ça me donne plus de possibilités pour m'exprimer. Plus c'est rapide, plus la diction est rapide et donc tu passes moins de mélodies. Je pense que Tony voit les choses de la même manière. Les chansons les plus lentes offrent plus d'espace en général et c'est pour cela que je les préfère.

Avez-vous testé ces nouvelles compos sur scène ? Y a-t-il déjà des nouveaux classiques ?
On a des setlists assez variées, qui piochent partout. On ne va pas faire l'erreur que font certains groupes et qui consiste à jouer tout le nouvel album, tout simplement parce que t'es sûr de tomber sur plein de fans qui n'ont pas encore assimilé les nouvelles compos et qui n'en ont rien à faire, ils veulent les classiques (rires)! On joue deux ou trois compos de The Devil You Know, notamment « Bible Black », qui, à mon sens, est le meilleur titre de l'album. Ce titre représente parfaitement le groupe, je pense. On jouera aussi « Follow The Tears » et « Fear », qui passent bien sur scène. Notre problème en réalité n'est pas de savoir quelle chanson on va ajouter, mais laquelle on va enlever de nos setlists ! Pour ajouter ces nouvelles compos, on doit enlever des classiques, comme « Sign Of the Southern Cross ». Mais il faut se dire qu'on enlève une bonne chanson pour en mettre une aussi bonne à la place, donc... De toute façon, on ne pourra pas plaire à tout le monde !

Et vous n'en avez pas marre de rejouer tous ces classiques à chaque fois ? Ces chansons que vous êtes « obligés » de jouer et rejouer pour éviter une émeute !
Je pense qu'on est effectivement obligé de les jouer et on leur doit ça ! « Heaven & Hell », « Neon Knight », « Mob Rules »... On sait ce qu'on doit à ces morceaux et on prend du plaisir à les jouer à chaque fois. Mais c'est aussi dû à l'accueil formidable que nous réservent les fans pour ces compos ! Non, vraiment, c'est un pur plaisir de les jouer tous les soirs.

Tu as composé les paroles de The Devil You Know. Est-ce que ton approche est différente quand tu écris pour Heaven & Hell et quand tu écris pour ton groupe, Dio, avec lequel tu t'exprimes sur des sujets plus « fantasy » ?
Complètement. Ça doit être différent, sinon tu tombes dans le piège de la facilité et ce ne sera plus Heaven & Hell mais Heaven & Hell + Dio. Il faut effectivement une approche différente pour que les deux entités gardent leur originalité. Tu as parfaitement raison sur ce point. Avec Heaven & Hell on est un peu plus réalistes, on est obligé d'évoquer la réalité, le monde et ses problèmes, alors qu'avec Dio, on peut s'évader un peu plus.

Parle-nous un peu de ce titre étrange qu'est « Eating The Cannibals », il parle de quoi exactement ?
C'est vrai qu'il est étrange ! C'est même le titre le plus bizarre que j'ai jamais composé. Une fois que j'avais ce titre, le challenge était d'écrire des paroles qui avaient quand même un certain sens. L'idée de base est qu'on est, et qu'on a toujours été, contrôlés par une poignée de personnes, tout en haut de l'échelle, qui prennent toutes les décisions. Ces personnes se nourrissent de nos esprits et de nos corps. Je me suis dit, je vais ouvrir un restaurant et je vais vous servir ces gens-là à manger justement, comme un vulgaire steak de bœuf ! C'est comme une revanche sur ces cannibales qu'on pourrait manger à notre tour !



Vous avez traversé pas mal de turbulences avec Black Sabbath, notamment dans les années 90, où vous avez sorti un Dehumanizer tellement décrié à l'époque. As-tu des regrets concernant cette période triste de votre histoire ?
Non, pas du tout. Je ne regrette rien en général, tout ce qui est arrivé devait arriver. Je ne regrette rien simplement parce que tous ces évènements m'ont permis de devenir ce que je suis actuellement. Le problème avec Dehumanizer, c'était le timing. Il est arrivé en pleine vague grunge, avec Nirvana, Alice In Chains, qui ont englouti toute la scène. Ça nous a collé un tampon : DINAUSORES. Les médias ne voulaient donc plus de nous... Mais aujourd'hui, on joue quatre titres de cet album sur scène et on nous en demande encore ! J'adore cet album et je pense que c'est pareil pour les autres membres du groupe, c'est un des meilleurs disques auquel j'ai pu participer, sincèrement. 

Quelques groupes aujourd'hui n'hésitent pas justement à redonner une jeunesse à ces albums « zappés » à leur époque en les ressortant avec un nouveau mix, un DVD bonus, des chansons inédites... Avez-vous été tenté de le faire avec Dehumanizer, qui a changé complètement de statut depuis ?
Franchement, non. Je l'ai fait avec Holy Diver de Dio, et c'était sympa. Mais je l'ai fait avec une tournée spéciale pour relancer un peu la carrière du groupe, c'était vraiment une époque difficile pour nous tous. C'est un peu notre classique, donc ça valait le coup de le faire. Mais avec Black Sabbath, je ne proposerai jamais une telle idée, on a largement de quoi faire avec notre catalogue et on est totalement tournés vers l'avenir à présent.

Tu es dans le milieu de la musique depuis tellement longtemps, Ronnie et tu as TOUT vu. Tous ces changements incroyables qu'a connus le marché. Penses-tu qu'on puisse un jour concevoir la musique comme on le faisait à tes débuts ? Ou est-ce que les choses ont évolué de manière irréversible ?
WE ARE DOOMED... (rires) ! Tout du moins, la vielle école ! La révolution électronique est telle... Tout va si vite de nos jours. Les gens réclament des résultats immédiats, une reconnaissance instantanée. On ne peut plus revenir en arrière. Les maisons de disque se sont plantées dans leur gestion de cette histoire de téléchargement. Elles se sont réveillées bien trop tard pour gérer le phénomène et maintenant, elles sont dépassées et ne savent pas quoi faire ! À l'époque, tu signais un deal pour cinq ou six albums, maintenant, t'as intérêt à cartonner directement ! Si tu ne vends que 200,000 copies pour ton premier disque, tu dégages ! Personne ne donne le temps aux groupes de progresser, de devenir meilleurs. Et ça va empirer je pense, parce qu'on se focalise encore plus sur les succès immédiats... Et au final, ce sont toujours les musiciens qui trinquent. Tout ce que demandes à un musicien, c'est de pouvoir jouer. Il y a très peu de jeunes qui montent un groupe pour gagner de l'argent, c'est une contre-vérité. Et maintenant, on ne donne plus sa chance à des jeunes musiciens qui veulent se lancer. C'est très regrettable...

Mais le public a changé aussi. Si un groupe ne capte pas l'attention immédiatement, il est zappé et catalogué...
Ouais, c'est une partie du problème. Les groupes ont besoin de temps et d'expérience pour devenir meilleurs et ça, c'est une chose qui a totalement disparu aujourd'hui...
 
Après toutes ces années, Ronnie, où trouves-tu cette motivation ? Qu'est-ce qui te pousse toujours à enregistrer les meilleures chansons, donner les meilleurs shows ? Est-ce seulement la passion ou un professionnalisme rodé ?
Au final, on en revient toujours au professionnalisme. On est quatre pros, on connaît parfaitement notre tâche et on s'applique à donner le meilleur de nous-mêmes. Notre but, c'est de jouer et si c'est vraiment ta passion, ce professionnalisme vient tout naturellement. Si dans un groupe, tout le monde veut obtenir le meilleur résultat global, alors il fera bien son boulot. Chacun de nous se sent complètement concerné, on veut les meilleures lignes de basse, de batterie, de guitare, de chant et surtout, on veut le meilleur résultat final ! C'est notre boulot et on l'aime, donc on s'applique et on travaille dur. La perfection n'existe pas, mais on essaye de s'en approcher au maximum. Quand t'aimes à ce point ton boulot, tu le fais à fond et c'est ça le professionnalisme après tout.

Vous allez tourner intensément cet été. Comment te prépares-tu pour cette tournée ?
Je marche énormément. Je fais environ huit bornes tous les matins. Et ouais, très tôt le matin pour pouvoir profiter pleinement de ma journée ! Plus tu vieillis, plus tu vis le jour et tu dors la nuit ! Je fais attention à ma santé, on essaye de répéter pendant une semaine avant, ensemble, pour nous roder et prendre confiance. Bon, parfois c'est un peu dur, parce que le rythme des tournée est haché, les jours « off » pendant lesquels on voyage ne sont pas vraiment reposants au final... Ça, c'est encore une belle arnaque de managers (rires) !

Ronnie, tu as influencé tellement de chanteurs de heavy actuels... Est-ce que tu t'intéresses un peu à eux ? Y en a-t-il un ou deux que tu apprécies par exemple ?
Je n'en connais pas des masses, tu sais... Je vis aux States, tu sais, tout le monde s'en fout du hard-rock ici (rires) ! Par contre, j'adore Chris Cornell, ce mec est un vrai standard, aussi impressionnant qu'un Dickinson ou un Halford... Mais sinon, je t'avouerais que je ne suis pas trop au courant de la scène actuelle...

Merci beaucoup pour l'interview Ronnie, c'était un honneur de te parler !
Merci à toi, on a passé un très bon moment !

À bientôt en tournée, on vous verra au Hellfest !
Ouais, à bientôt au Hellfest, mais aussi à Toulouse le 21 Juin et à Paris le 23 juin !


HEAVEN & HELL – The Devil You Know
Rhino Records



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