JORN
Jorn, c'est avant tout une histoire de gros malentendus. Beaucoup de gens ont du mal à comprendre la démarche de ce chanteur exceptionnel, entêté et décidé à continuer d’avancer à contre-courant. À l'heure où la technologie est reine, où les albums sont surproduits, conçus pour exploser vos enceintes, pour en mettre plein les oreilles, Jorn, lui continue de se focaliser sur l'essentiel : le rock.

Interview exclusive Noiseweb

Entretien avec Jorn Lande – article rédigé par Yath
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Jorn Lande enchaîne donc depuis quelques années les albums solo directs, puissants et simples. Simplicité : un gros mot en 2009 quand on s'adresse à la communauté hard-rock/metal. Mais Jorn croit dur comme fer en sa démarche et n'hésite pas à la revendiquer. Tous ces groupes qui cachent leur manque d'inspiration sous une tonne d'effets et d'arrangements ne peuvent pas durer : « Tous ces groupes essayent aussi de compenser leur manque d'idées par une image spéciale, un concept alambiqué. D'ailleurs, si tu regardes le produit final dans sa globalité, c'est du vrai travail de pro ! Ça peut même paraître plus réussi qu'un album authentique et réellement inspiré. Ça peut marcher au départ, mais au bout d'un moment, la supercherie sera démasquée. » Tout vrai. D'ailleurs, c'est en partie la faute aux consommateurs de musique eux-mêmes. Ne prenez pas cet air offusqué, oui, il s'agit bien de « consommation ». On n'a plus le temps d'écouter attentivement un album, quelques semaines après sa sortie, il est déjà dépassé, il y a d'autres nouveautés, d'autres « albums du mois », d'autres « prix verts »... Du coup, c'est celui qui fera la meilleure première impression dont on va parler, les autres... « Les gens sont donc trompés par ces produits bien faits mais un peu creux, et comment peut-il en être autrement ? Il n'y a plus beaucoup de fans qui collectionnent les disques de leur artiste préféré, qui vont le voir en concert, qui l'accompagnent dans la durée. Les gens mènent des vies rapides, stressées et il leur faut de la musique à écouter dans leur voiture, quelque chose de puissant, d'immédiat, ils se font donc avoir. On ne peut pas leur en vouloir, un amateur de musique alpha peut facilement tomber dans le piège ». Jorn, lui, continue son bonhomme de chemin, il essaye en permanence de se mettre dans la peau du fan qu'il était et de proposer quelque chose de vrai, d'authentique, sans se cacher derrière des artifices ou des arrangements trompeurs : « Comme Rainbow, Kansas, Deep Purple, Black Sabbath, tous ces groupes dont je suis fan ». Il essaye aussi de tout donner sur scène, avec des shows puissants, directs, pas comme tous ces groupes « dont on ne comprend rien sur scène ! Il faut connaître les chansons par cœur pour les identifier ! Tous ces groupes avec des millions d'effets et de pistes sont un vrai cauchemar pour les ingé-sons (rires) ! ».

D'ailleurs en studio, c'est un peu la même démarche : épurer le son pour pousser tous les voyants à leur maximum : gros son de batterie, gros son de guitare et gros son sur le chant de Jorn. C'est tout simple, mais on ne peut plus efficace et puissant. D'ailleurs, c'est ce que Jorn a fait sur ce nouvel album : « Je pense que ce nouvel album est encore plus direct que le précédent, encore plus puissant. Il fallait plusieurs écoutes pour apprivoiser Lonely Are The Brave, Spirit Black est plus immédiat. Il a une approche plus Classic Rock. C'est un peu le cas depuis Out Of Every Nation, surtout comparé à un album comme Worldchanger qui, pour le coup, est carrément progressif ». Ça, pour être efficace, Spirit Black l'est assurément. On dirait presque du Stadium Rock par moments. On entend deux choses en fait sur cet album : les gros riffs hard-rock et le chant magistral de Jorn. Mais ce qui frappe également, c'est la noirceur, le pessimisme qui se dégage de Spirit Black. C'est ton album le plus sombre, Jorn ? « Sombre ? C'est un compliment ! Je t'avoue même que j'aurais aimé qu'il soit encore plus sombre (rires) ! J'adore ces ambiances ! Après tout, on fait du hard-rock, non ? Ça ne peut pas être gai tout le temps ! Mais je ne te suis pas quand tu dis pessimiste. C'est vrai que je parle de choses noires, mais ce qui est intéressant, c'est ce contraste entre le côté sombre de notre humanité et l'espoir, la force de l'être humain, cette foi qui peut l'animer. De l'obscurité peut naître la lumière et c'est ce sentiment que j'adore transmettre. Toute cette colère, cette frustration me motivent à créer, à rechercher l'énergie dans la musique. Et puis, il y a tellement de choses désespérantes dans la vie que je suis obligé d'en parler ! ». Et c'est qui ce corbeau sur tes pochettes depuis The Duke, il représente quelque chose de particulier pour toi ? « Ça fait partie du symbolisme que j'aime utiliser. C'est très différent de l'aigle par exemple, souvent utilisé par les groupes de heavy (rires). Le corbeau est bourré de symboles. Il me représente bien, il est libre, solitaire, indépendant... Il ne se soucie pas des artifices, un peu comme notre musique. Et puis, il y a toute une symbolique traditionnelle autour de ces oiseaux. Notamment les superstitions, parfois positives, parfois négatives qu'on peut trouver, liées aux corbeaux. Il est aussi présent dans la mythologie viking à de nombreuses reprises, il est souvent cité comme un symbole de noblesse, lié aux rois et aux ducs ».

JORN

Jorn à joué dans une multitude de groupes et embrassé des styles différents de musique tout au long d'une carrière qui commence à devenir conséquente. Certains voient même en lui le mercenaire parfait, enchaînant les participations opportunistes, changeant de groupes comme de chemise, abandonnant les formations les plus « ambitieuses » sur le plan artistique pour gagner plus d'argent. Trop simpliste comme accusation. Et il est là le malentendu sur Jorn. Qui peut juger un tel artiste ? Comment peut-on juger un musicien qui se bat pour vivre de sa musique, qui change de groupe lorsqu'il ne le mène nulle part ? On fait le même reproche aux sportifs souvent, mais les carriéristes qui ont un emploi plus classique, dans un bureau ou en industrie, on dit qu'ils ont « réussi leur vie ». Effectivement, Jorn a essayé beaucoup de choses, d'abord par ambition artistique, mais il a aussi fait des choix, difficiles parfois, pour avancer : « Certains de mes anciens groupes sont vraiment arrivés au pire moment. ARK ou Vagabond notamment. Pour Vagabond, par exemple, on a débarqué dans les 90’s, alors que tout le monde voulait tout réinventer.  On voulait juste faire du hard-rock/metal influencé par les seventies. On a dû arrêter de collaborer rapidement, après 1 ou 2 albums parce que j'ai toujours voulu avancer. Je fais quoi ? J'attends, j'enregistre encore un album, et je reste à la maison le reste de l'année ? J'avais besoin de sentir qu'on allait quelque part ! Rien ne se passait avec ces groupes, il ne faut pas l'oublier. J'aurais pu continuer à enregistrer avec eux, mais il aurait fallu travailler comme chauffeur de taxi à côté ! Mais j'ai décidé de rejoindre d'autres formations pour tourner, enregistrer et pour que le chant dans un groupe rock devienne vraiment mon métier ! C'est aussi simple que ça, je veux avoir du succès, oui, mais uniquement pour pouvoir vivre de ma musique ! Ça a toujours été mon ambition, avoir ma propre carrière. C'est devenu très compliqué de nos jours et c'est pour ça que je galère, je nage à contre-courant pour essayer de construire quelque chose. Le fait d'avoir expérimenté beaucoup de choses vient de là aussi, On essayait juste d'exister, de proposer quelque chose qui allait intéresser les gens ».

ARK, quel gâchis ! Dommage que le public n'ait pas donné sa chance à ce groupe formidable, qui a probablement sorti un des meilleurs albums ces 10 dernières années (Burn The Sun) : « Je me souviens à l'époque, j'utilisais absolument toutes mes influences ! Je chantais comme Sting, comme David Bowie, avant de pousser la voix comme un pur chanteur de hard-rock, dans la même chanson ! Mais ça fait partie de mon développement et je n'ai aucun regret. J'ai appris énormément de choses et il faut le dire, ça m'a valu une grande reconnaissance dans le milieu professionnel. Mais ce succès d'estime en reste là malheureusement. Tu sais, les fans de hard/metal sont assez marrants. Quand tu tentes des choses comme on avait fait avec ARK, tu récoltes une tonne de louanges, plein de gens te disent que ce que tu fais est génial. Mais quand ces fans vont acheter des disques, ils n'achètent que des trucs d'Iron Maiden ou Metallica ! On était peut-être appréciés, mais pas assez soutenus. Si on avait un peu plus aidé ARK, avec une vidéo, une présence médiatique en dehors de la sphère metal, on aurait peut-être percé ! ARK avait tellement de potentiel... Même l'artwork était génial, on aurait pu s'en inspirer pour une vidéo, un truc tordu comme Björk ! Un gros label aurait pu nous mener très haut, mais dans la sphère metal, on a juste récolté un succès d'estime... ». Sad But True... Mettons donc les choses au point : non, Jorn n'est pas un opportuniste, ni un mercenaire, c'est juste un chanteur (et quel chanteur, il ne faut l'oublier !) qui fait ce qu'il peut pour vivre de sa passion, pour enregistrer et tourner de manière professionnelle. Lui en vouloir pour ça relève de la plus grande hypocrisie. Malheureusement, son cas est loin d'être rare dans cette fameuse sphère métal de nos jours...

JORN

Mais revenons à des choses plus positives, Jorn, notamment ce nouvel album de Masterplan auquel tu vas participer : « On va prendre les choses pas à pas. Un peu comme Heaven & Hell ! Ils se sont retrouvés pour un best of, on leur a réclamé une tournée, ils l'ont faite, récoltant un énorme succès et ils ont sorti un DVD. Enregistrer un album était donc la suite logique des évènements et ils l'ont fait ! C'est exactement la manière dont on va procéder. On fait juste un album pour l'instant. Si ça se passe bien, s’il y a de la place pour tourner et refaire un album, on le fera. Je suis très content de rejoindre Masterplan, car si justement je devais réactiver une ancienne collaboration, c'est évidemment celle-ci, sinon, j'aurais monté un nouveau projet, mais c'est une mauvaise idée, ça suffit maintenant (rires). Masterplan est très intéressant, j'adore le mélange de heavy/power allemand avec ma voix, qui est plus classic rock. C'est un sacré mélange, original et puissant et ça change de ces chanteurs typiquement allemands (rires). Mais pour le moment, je travaille dur avec mon groupe et je m'attaquerai à Masterplan après ». Évidemment Jorn, on aimerait te voir sur scène maintenant ! « Ouais, on va essayer de tourner en 2010, je pense. Je viens de changer d'agence de promotion et on est en train de travailler sur ça. Ça fait un moment que je ne suis pas venu en France d'ailleurs. Sur la dernière tournée, on a joué partout, sauf en France ! ». Vaste sujet, Jorn, mais sache que t'es loin d'être le seul dans ce cas ! Nos promoteurs sont comment dire... pour le moins frileux. « Mais ça n'a pas de sens quand t'y penses bien. On n'est pas obligé de remplir de grosses salles ! Ne me dis pas qu'il est impossible de trouver une petite salle ou un club et de le rentabiliser... Il y a toujours des gens intéressés par un concert de hard ou de metal. Les promoteurs sont soit fauchés, soit pas motivés. J'ai fait des shows en France et tu sais quoi ? J'avais reçu plein de messages de fans outrés, qui habitaient dans la ville où je suis passé et qui n'étaient même pas au courant de ce concert ! ».  Forcément...

Il est évident qu'aujourd'hui, vivre de sa passion est devenu très compliqué pour les artistes, surtout dans une sphère aussi close que celle du hard/metal. Il faut bosser dur, tourner, faire partie du bon groupe au bon moment. Et si parfois, on ne comprend pas toujours la carrière des artistes et qu'on leur reproche un opportunisme apparent ou un certain « carriérisme », c'est qu'on ne connaît qu'un seul côté de la médaille... Merci Jorn pour cet entretien qui aura le mérite de mettre les choses au clair. Et puis tant que tu auras cette voix, tu peux chanter sur tous les albums que tu veux, on sera toujours derrière toi ! 


JORN LANDE – Spirit Black
Frontiers Records



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