CLUTCH

Perfect Strangers

Samedi 20 Juin, 19h. Clutch vient de terminer son show au Hellfest. Le public est abasourdi. Mais d'où ils sortent ces gars-là ? Neil Fallon et les siens ont botté les fesses des métalleux, démontrant qu'il n'était pas nécessaire de blaster ou de se maquiller pour mettre le feu sur scène. On devait discuter avec le groupe courant juillet à propos du nouvel album (Strange Cousins From The West – chroniqué dans ces pages) mais après ce show, il n'était plus question d'attendre. Même si on n’avait pas écouté le fameux nouvel album, on voulait avoir la réaction du groupe à chaud, après ce concert phénoménal. Après quelques demandes, on nous emmène backstage et on nous propose de se lancer : « Leur loge est là, vas-y, et s’ils veulent bien répondre à tes questions, fais ton interview et appelle-moi quand t'as fini ». Cool !
« Toc toc…
- Yeah ! (Neil Fallon -chant- est assis sur un canapé, la tête baissée, en train de récupérer après une bonne douche).
- Neil ? Je suis Yath, de Metal Obs' magazine. On devait discuter dans quelques jours à propos du nouvel album, mais après ce show énorme que vous venez de donner, je ne pouvais plus attendre ! On peut faire une interview maintenant ?
- Sure, come in. »


Interview parue également dans le Metal Obs' 32 de juillet / août 2009

Entretien avec Neil Fallon (vocals) - Par Yath
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Vous êtes plutôt rares ici en France, c'est bon de vous voir sur scène chez nous !
Tu sais, on a donné si peu de shows en France... C'est difficile de savoir pourquoi... En tout cas, pour nous, ça ne change rien. On continue de faire ce qu'on veut, à notre façon et on sait qu'on ne plaira pas à tout le monde, ce qui est tout à fait normal. D'ailleurs, si tu n'as que des éloges et du succès, c'est que tu n'es pas si bon que ça (rires) ! Mais ça fait plaisir de jouer dans le cadre d'un festival comme ça, même si on n'est pas le groupe le plus Metal de la journée. Ce rôle d'outsider me convient parfaitement.

Vous vous attendiez à quel type de réaction ? Ce n'est pas évident de passer entre deux groupes de metal (souvent extrême) !  Juste avant vous, c'était Cradle Of Filth avec leur attirail en cuir et leur corpsepaints qui jouait !
On a dû passer pour les Grateful Dead après leur show (rires) ! Plus sérieusement, l'ambiance des festivals est assez spéciale. C'est très varié et la seule façon de s'en sortir, c'est d'être relax, détendu. Il faut monter sur scène humblement et faire ton truc, sans avoir envie de démontrer quoi que ce soit et sans vouloir être plus puissant ou plus fort que tel ou tel autre groupe. Quand tu commences à penser comme ça, tu perds un peu l'esprit originel de la chose ; on est là pour nous amuser et donner du plaisir aux gens avant tout. Ce festival est assez différent en plus, puisque on a été ajouté à l'affiche au dernier moment. KMFDM a annulé apparemment, et nous, on tournait au Royaume-Uni. On nous a proposé de jouer et on a accepté volontiers. Tout ça s'est monté à la dernière minute et on en est ravis, puisque comme je te le disais, on a si peu d'occasions de jouer en France !

Et avez-vous essayé d'adapter votre setlist à ce type d’évènement ? Vous avez un paquet d'albums et plein de chansons très heavy. Avez-vous essayé de les sélectionner pour satisfaire les fans de metal qu'on rencontre au Hellfest ?
Humm... Comme tu dis, on a un répertoire très riche maintenant, et on s'amuse souvent à changer totalement les setlists, pour surprendre nos fans. Mais en festival, il y a un certain type de chansons qui fonctionnent très bien. Et je parle des festivals en général, le Hellfest, ou le Download par exemple. On sait qu'il y a des chansons assez énergiques qui passent très bien en festival et on a joué ce type de set ici. On ne s'est pas dit : « On est France, au Hellfest, avec des groupes extrêmes, donc on va sortir les chansons les plus rapides ». Non, on a juste joué un set typique de festival, avec des chansons énergiques et qui peuvent plaire à des gens qui ne connaissent pas le groupe.

Vous avez joué pas mal de chansons de Blast Tyrant et Robot Hive, deux albums assez heavy et énergiques, et c'est très bien passé sur scène tout à l'heure !
Ouais, il y a des chansons sur ces albums comme « Burning Beard », ou « Electric Worry ». Euh non, qu'est-ce que je raconte ? Elle vient de Beal Street celle-là, et on l'a pas jouée aujourd'hui (rires) ! Donc, les chansons de Blast Tyrant et Robot Hive passent effectivement bien sur scène en festival. Ce sont nos albums les plus connus en Europe aussi, et ça aide...

Clutch existe depuis pas mal d'années maintenant, et une des caractéristiques les plus incroyables du groupe, c'est sa fanbase. Vous avez un réseau de fans très actifs, très fidèles, qui guettent chaque bootleg, chaque nouvelle interprétation. C'est comme une famille finalement qui vous suit et qui comprend et apprécie chacun de vos mouvements ! Ce confort vous suffit-il ou avez vous quand même envie d'aller chercher de nouveaux fans ?
Ouais, c'est spécial... Et tu sais, je pense qu'on voudrait réunir les deux ! Pour un musicien, le but ultime, c'est de donner du plaisir à un maximum de gens. On joue notre musique à travers le monde, on est aujourd'hui dans ce festival, en France, et on va partir en tournée en Europe... Je suis tellement reconnaissant de pouvoir vivre ça ! Et surtout après 19 ans de carrière ! Au départ, jamais je n'aurais pu imaginer une telle carrière ! On doit ça à nos fans, mais si on peut attirer du monde qui ne connaît pas Clutch et leur botter le cul sur scène, on est carrément preneurs !

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Bon, t'as vu la foule grandir autour de la scène au fur et à mesure que vous jouiez ? À la première chanson, j’étais au dernier rang, à 3 mètres de la scène. Au bout de 3-4 chansons, je me suis retourné et j'ai vu une foule immense derrière moi !
Ouais, je pense que j'ai remarqué... Tu sais, je suis assez concentré sur scène, et j'évite de regarder la foule, surtout en festival ! Mais à un moment donné, j'ai jeté un coup d'œil et j'ai vu qu’il se passait quelque chose ! Je crois que je suis allé boire une gorgée d'eau pendant un solo ou un truc comme ça, j'ai regardé la foule et je me suis dit : WOW ! C'est aussi pour ça que j'aime les festivals, on arrive à toucher un public très vaste en quantité et en goûts musicaux.

J'en ai parlé un peu au départ de cette interview : les fans de rock/blues ne sont pas les mêmes que les fans de metal, surtout en France. Et aujourd'hui, vous avez donné une excellente leçon à tout le monde, puisque même les fans de metal ont été soufflés !
Ouais, je ne sais vraiment pas pourquoi on a du mal en France. Tu sais, à chaque tournée, on propose de venir jouer en France, et à chaque fois, les promoteurs nous disent : « je ne sais pas, y a pas de demande »... On dirait qu'ils ont peur.

Les promoteurs ont toujours peur en France...
Mais nous, on veut bien prendre le risque ! Pas de soucis, quitte à ce que ce soit une petite salle ! La dernière fois qu'on a joué en France, on a réuni 300 personnes et c'était super ! Tout le monde s'est amusé et on a senti que ces 300 personnes avaient envie de nous voir sur scène !

Bon, on va parler un peu du nouvel album, que je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion d'écouter (depuis, on l’a reçu – NDLR). Comment le décrirais-tu par rapport à vos précédents efforts ?
Je pense qu'il est plus facile de parler d'un album avec le recul, quelques années après sa sortie. Pour le moment, c'est encore trop frais dans ma tête. Je suis en train de l'écouter en boucle en ce moment, et j'essaye de comprendre pourquoi certaines décisions ont été prises lors de l'enregistrement. Attention, je ne suis pas en train de dire qu'il ne me plaît pas ou que je ne le comprends pas ! Je suis juste en pleine phase d'analyse pour comprendre parfaitement cet album et son état d'esprit. La première chose qui sautera aux oreilles, c'est qu'il est plus brut : c'est juste guitare/basse/batterie et chant. Pas d'harmonica, pas d'orgue ou très peu. Il sonne très « live ». Mets-le dans une chaîne stéréo et tu verras, il est très organique, simple dans l'approche. Ce n'était pas une volonté de retourner en arrière, mais on voulait juste aller à l'essentiel, nous concentrer sur la moelle, la substance la plus importante. C'est aussi un album sombre, je dirais. Pas dans le sens « négatif » ou « evil »...

Sombre dans le sens du Blues...
Exactement. C'est tout à fait ça.

Clutch à évolué depuis ses débuts et si certains vous trouvent plus soft, j'ai l'impression qu'au fil des ans, vous allez de plus en plus vers l'essentiel, c'est-à-dire le blues. En fait, Clutch est juste un groupe de blues, avec des guitares un peu plus heavy...
Oui, je suis d'accord. On est là depuis 20 ans et la seule façon de pouvoir survivre à toutes ces années, c'est d'évoluer. Je ne peux plus faire la musique que je faisais quand j'avais 18 ans. En fait, je ne peux même plus écouter cette musique (rires) ! Si on revient aux racines, c'est parce qu'on a écouté des groupes de rock dans notre jeunesse. Et puis, avec le temps, on en apprend beaucoup sur le rock. Tu commences par écouter Led Zep' par exemple. Et puis t'apprends qu'eux-mêmes écoutent d'autres choses, alors tu remontes aux sources, Howlin' Wolf par exemple, un bluesman. Pareil si t'écoutes Cream. Tout ça vient naturellement en fait, je suis en train de l'analyser mais on n’en avait jamais parlé auparavant. Tout remonte au blues au final, c'est un truc si immense... C'est le père du rock n' roll, lui-même à l'origine de la musique en question aujourd'hui...

C'est pareil pour les fans je pense, et vous l'avez démontré cet après-midi : si tu propose du blues ou du bon rock à un public métal, il va aimer, c'est sûr !
Si on regarde les choses avec un peu de perspective, on se rend vite compte que le metal est jeune ! Un groupe qui existe depuis 20 ans est jeune finalement, ne serait-ce que par rapport à certains, comme Heaven & Hell, qui ont joué ici même hier, et qui ont 40 ans de carrière (rires) ! Et si tu vas écouter les premiers bluesmen, ça te ramène à une autre échelle temporelle et ça te rend humble. On s'inspire encore de cette musique qui est à l'origine de tout. Au final, on retrouve dans le rock et le metal ces mêmes vieux ingrédients.

Comment composez-vous ? On imagine Clutch en train de jammer toute la journée et en train d'enregistrer très vite, instinctivement...
On écrit énormément de chansons. Plein d'entre-elles terminent à la poubelle. Ça arrive même à des chansons qu'on travaille pendant des mois. La sélection est drastique... Pour composer, on fonctionne de manière simple et totalement démocratique. Ça part souvent d'un riff, puis l'un d'entre-nous propose d'essayer une mélodie, l'autre propose de jouer plus vite par exemple... On construit les compos ensemble, et petit à petit, elles prennent forme.

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Et la production ? Tu m'as dit que l'album est plus « basique » cette fois, la prod' est-elle aussi très naturelle, très live ?
Pour l'album Beale Street..., on avait testé chacune des chansons sur scène avant de l'enregistrer. Ça avait très bien fonctionné et on aurait voulu le faire cette fois-ci mais on n’avait pas assez composé pour ça. On s'est lancé avec J. Robbins, qui avait aussi produit Robot Hive et il est du genre à essayer de capturer l'énergie la plus spontanée. Il entend la chanson et propose rapidement tel ou tel matériel, pour enregistrer tout de suite. Il n'est pas le type de tyran qui va t'imposer de refaire 8 fois tel ou tel passage pour le perfectionner (rires). Il écoute ce que t'as à proposer, en saisit l'essence et essaye de la capturer.

Est-ce que tu considères que Clutch est avant tout un groupe de scène. Faut-il voir Clutch sur scène pour en saisir l'essence justement ?
Absolument. Et je suis très ferme là-dessus. Les vidéos, les magazines - sans vouloir t'offenser - et mêmes les disques, c'est tout récent ! Mais les performances en public, ça date de plusieurs milliers d'années, voire plus ! Tu dois voir Clutch sur scène pour saisir le truc. Et ça doit être le but de tout groupe de rock. Même la musique classique. Sur CD, c'est puissant, mais quand t'es devant une scène et que tu prends le souffle de l'orchestre, c'est...WOW. La scène, c'est un peu l'église, le temple sacré de la musique...

Clutch a toujours été un groupe indépendant. Indépendant des maisons de disque, indépendant des modes et vous avez – on en a déjà parlé – une fanbase très spéciale. Tu penses que ça vous aide à traverser un peu cette crise du disque dont tout le monde parle ?
Tu sais, je pense qu'il y a du positif dans cette crise, puisque ça a un peu permis de secouer le cocotier. Et depuis que les gens piratent notre musique, on remplit de plus grosses salles... Je n'ai pas l'impression d'avoir perdu au change... Et puis, il y a tellement de groupes aujourd'hui qu'il est presque impossible de s'y retrouver. Vous devez le remarquer ça, vous, dans les magazines.

Oh que oui...
Ouais, donc t'as besoin de bosser plus dur pour te démarquer, plus tourner... Mais ça ne nous déplaît pas, bien au contraire...

Sur le plan des paroles, Clutch est très spécial aussi, parce que tu mélanges deux types de thèmes : il y a quelque chose de presque politique, de contestataire, et puis il y a les paroles blues, sur la mélancolie, l'amour, la vie en général...
Les deux se rejoignent, je pense. On habite à côté de Washington DC. On est juste à côté du gouvernement et de ces grandes « choses »... Parfois, je me réveille de mauvaise humeur, et tout ça se retrouve dans des paroles pour une chanson... Mais parfois, c'est plus privé, plus local, je parle d'amour trouvé, d'amour perdu... On essaye de construire les chansons comme des histoires.

Il y a parfois des attaques virulentes contre les politiciens dans vos paroles, y a-t-il une volonté d'afficher certaines positions politiques ? Ou est-ce juste de la rébellion ?
Non, il n'y a pas de prise de position très claire et affirmative dans mes paroles, pour la simple raison que je change souvent d'opinion ! C'est idiot mais en 19 ans de carrière, t'as le temps de changer et je me vois mal chanter des trucs auxquels je ne crois plus. Il ne faut pas être trop précis et dicter telle ou telle opinion, parce que si toi tu changes, les gens qui écoutent ton disque, eux, ne le savent pas ! J'essaye de rester vague et de parler de généralités qui seront toujours vraies. Et en politique, il y a assez de matière...

Pour nous, en France, on a l'impression qu'il y a 2 types d'Amérique en termes de musique : il y a toute cette soupe pop dégueulasse et il y a ce folklore rock/blues exceptionnel qu'on vous envie et qu'on n’arrive même pas à copier ! À chaque fois que vous nous envoyez un groupe de blues/rock, on a l'impression de tenir une révélation ! Comment faites-vous pour être aussi bons ? C'est dans vos gènes ? Dans votre culture la plus profonde ?
Je n'en sais rien...C'est dur de parler de soi comme ça. Ce que je peux te dire, c'est que les médias tout-puissants chez nous peuvent te montrer deux visages de notre pays : le plus beau pays du monde où tout est génial, où les bonbons poussent dans les arbres et le pays qui ressemble à un enfer, tout le monde se tire des balles dans le crâne. La pop, c'est la même chose et à côté, t'as des gens qui jouent dans le quartier, qui transmettent leur héritage. L'histoire de notre pays nous donne une richesse musicale incroyable, on a mélangé l'héritage folk européen avec les rythmes et des thèmes africains et c'est un vivier inépuisable d'inspiration... Mais crois-moi, on a aussi des groupes de rock pourris (rires), c'est juste qu’ils n’arrivent pas jusqu'à chez vous (rires) !

Quels sont vos objectifs avec ce nouvel album ?
Les mêmes que d'habitude. Je vis de ma musique et ça me suffit, je veux juste pouvoir tourner et jouer la musique de Clutch sur scène. Certains aiment le succès, les belles voitures. Tout ça ne m'excite guère, je veux juste continuer à faire de ce groupe mon métier. On est très simples et on veut juste continuer à jouer notre musique. Si, il y a peut-être un truc qu'on espère : jouer dans plus de pays, aller en Amérique du Sud, revenir jouer en France...

Et vous avez visité un peu la France ?
Non, malheureusement pas, les festivals sont un peu perdus dans la campagne... Mais parfois, on joue dans des festivals en pleine ville, comme à Porto par exemple, et on essaye de visiter... C'est quelque chose dont je ne me lasserai jamais ! Jouer partout dans le monde et rencontrer toutes ces cultures différentes.

Cool, c'est tout le mal qu'on vous souhaite ! Merci pour cet interview improvisée et encore bravo pour ce show fantastique !
Merci à toi man !

PS : Un grand merci à Neil d'avoir accepté cette interview non-planifiée et d'avoir joué le jeu, et merci à Jeff de Metal Storm !


CLUTCH - Strange Cousins From The West
Weathermaker Music


Site : www.pro-rock.com

Myspace : www.myspace.com/clutchband