SUNN O)))
Voyage au centre de la Terre

Dernier volet de notre analyse du phénomène Monoliths&Dimension : un face-à-face avec un des géniteurs de cette œuvre : Stephen O'Malley. Cet entretien a été réalisé à Paris, juste après une écoute en avant-première de l'album. Stephen O'Malley est détendu, soulagé de voir que ce système « old-school » d'écoutes exclusives suscite l'intérêt et surtout, il a hâte de savoir ce que nous pensons de son nouveau bébé. Il a conscience de l'enjeu, SUNN O))) a visé très haut avec Monoliths&Dimension et il croit dur comme fer en ce nouvel album. Et ce qui est toujours plaisant chez un musicien comme Stephen O'Malley, c'est de sentir la passion avec laquelle il parle de son œuvre. D'ailleurs, difficile de le suivre lorsqu'il se lance dans des explications techniques précises sur la conception de cette pièce angulaire du groupe. Pour SUNN O))) comme pour nous, il y aura un avant et un après Monoliths&Dimension.

Interview parue également dans le Metal Obs' 33 de Sept. 2009, dans une version éditée, par manque de place...
Version complète ici !
Enjoy...

Listening-session à Paris et entretien avec Stephen O'Malley - Par Yath
Rechercher : dans l'interview

Salut Stephen ! Bon, je sors de l'écoute là et je dois te féliciter, ce nouvel album est un monstre ! Je suis impressionné par le final d' « Alice »...
Ok, Merci (Stephen est un peu tendu et attend la suite de nos remarques).

Et le début aussi (« Aghartha »), ça démarre tranquillement et au milieu du morceau, BOUM ! Le piège se referme.
Je vois. Ce morceau est conçu de façon à ce que tu ais l'impression de rentrer en collision avec le soleil (« SUNN » dans le texte -ndlr-). Mais tu continues à avancer à travers ses différentes couches et rapidement, il n'y a même plus de guitares et tu te retrouves dans un tout autre univers. C'est une illusion comme on les adore. On a essayé d'introduire ce genre de dynamisme à l'album tout entier.

C'est marrant ce que tu nous expliques là, parce que souvent, les détracteurs du groupe disent qu'il ne se passe pas grand chose avec SUNN, qu'on s'ennuie.
Justement, il y a énormément de détails, c'est très complexe. Surtout pour ce nouvel album, il y a tant de choses à écouter. Peut-être qu'il n'y a pas de refrains ou de breaks... (A ce moment, l'interview est interrompue par une panne de courant générale dans le studio – ndlr -).

C'est votre musique ça, trop de basses !
(Rires) Ouais, je me rappelle d'un concert ou à chaque fois qu'on essayait de jouer, on déclenchait l'alarme incendie (rires) ! (Le courant est rétabli -ndlr-).

Bon, revenons à Monoliths&Dimension. Tu penses que c'est votre album le plus ambitieux à ce jour ?
Tout à fait, j'irais même plus loin. Je dirais que cet album est le plus ambitieux auquel j'ai jamais participé. Bon, nos premiers albums aussi étaient ambitieux, même s'il serait facile de les refaire maintenant, vu qu'on a trouvé « le truc ». Au début, notre seule ambition était de créer quelque chose de différent. Mais ce nouvel album, du point de vue production, dépasse tout ce qu'on a fait jusqu'ici. Évidemment, si tu compares notre budget à celui d'un album de Judas Priest ou celui d'un autre grand groupe, ça te paraîtra ridicule, mais pour nous, groupe indépendant, dans sa gestion et son management, c'est énorme. C'est un très gros risque. Financier ET artistique.

Quand on mesure le chemin parcouru depuis vos premiers albums, c'est impressionnant... Vous avez démarré en jouant des riffs, mais quelle était votre idée de départ ?
On est des guitaristes. On a donc commencé naturellement par jouer des riffs, comme ça, pour tester des choses. Ça a évolué par la suite, vers des choses plus expérimentales. On s'est demandé à l'époque : « bah voilà, on fait quoi avec ces bandes? On cherche un batteur, un chanteur ? » et on s'est dit qu'on allait enregistrer une démo, comme ça. Le mec qui a enregistré cette démo a rajouté quelques synthés et voilà notre première expérience ! C'est idiot comme truc, on est quand même parti de riffs imaginés pour nos groupes respectifs ! Il n'y avait rien de révolutionnaire là-dedans, mais nous, on sentait qu'on tenait quelque chose. Sans toutefois imaginer qu'on venait de poser les premières marches qui allaient nous mener ici... On a commencé par créer les sons les plus primitifs qui soient. On a trouvé ce truc et on a continué à pousser, à élargir un peu notre terrain, notre enveloppe, qui a fini par incorporer d'autres éléments... Je n'aurais jamais imaginé en arriver là il y a 10 ans...

Il y a une quantité incroyable de collaborations sur Monoliths&Dimension, comment avez-vous, Greg et toi-même, organisé tout ça ? Vous êtes quand même restés les principaux maîtres à bord ?
Eyvind Kang a collaboré aux arrangements. En fait, il a arrangé « Big Curch » et « Alice », le morceau le plus sophistiqué de l'album. C'est un compositeur, donc il sait ce qu'il fait. Steve Moore a arrangé « Hunting&Gathering » et Randall Dunn (co-producteur) et moi-même avons arrangé le premier titre, « Agartha ». Steve Moore a commencé par prendre des notes, penser aux accords avant de nous faire essayer plusieurs trucs. Randall et moi avons contacté un compositeur roumain, c'est lui qui a élaboré ce son de bois qui craque sur « Agartha », c'est un spécialiste des instruments à cordes. Les titres arrangés par Eyvind Kang l'ont été comme de vraies pièces de musique classique.

SUNN O)))

Vous avez donc travaillé avec tout un orchestre, des arrangements classiques... C'est pas mal pour un groupe affilié à la scène métal ! Et justement, vos fans ne viennent pas seulement de cette scène métal. As-tu une idée de ce à quoi ressemble un fan de SUNN O))) ?
Je pensais au départ que SUNN était un groupe de métal expérimental. Jusqu'à ce que je remarque des fans qui aiment juste le son. Il y a des DJ’s, des médecins... On est vraiment flattés de remarquer toute cette diversité. Tous ces gens sont attirés par notre différence, nos expérimentations. Tu sais, on avait ouvert pour Celtic Frost il y a quelque temps aux Etats-Unis. Martin Ain (Celtic Frost) a appelé Greg pour lui proposer cette tournée de 60 dates tout de même. Greg m'a appelé et m'a dit : « Steve, tu dois t'asseoir quelque part, j'ai un truc à te dire ». J'ai cru que quelqu'un était mort ou avait eu un accident ! Et quand il m'a annoncé la nouvelle, j'ai fait WOW ! (rires)

Mais c'était leur dernière tournée en plus ?
Ouais, historique...

Sauf s'ils se reforment encore une fois...
(rires) Mais j'en doute fort, cette fois-ci, ça a l'air bel et bien terminé... On n'a pas ouvert sur tous les shows, mais on a fait quelques belles dates, notamment à San Francisco dans une salle prestigieuse, le Philmore, qui existe depuis les années 60. On est passé derrière Miles Davies, Hendrix... Après ces légendes, l'affiche ce soir-là était Goatwhore / SUNN O))) /Celtic Frost (rires) ! San Francisco a une scène métal assez importante, avec des fans très ouverts. Mais la venue de Celtic Frost a sorti tous les vieux gars des bois (rires). Quand on jouait, je voyais le public se diviser en 2 : les mecs qui débarquaient des 80s' et les mecs plus « arty », intellos, qui eux, appréciaient notre show. On reste un peu Metal, mais je pense que certains fans de Metal ne comprendront jamais ce qu'on fait (rires) !

C'est un peu une revanche pour le Metal, que d'aller chercher un public plus intellectuel et de montrer qu'on n'est pas juste barbares et primitifs !
Mais le Metal n'est pas du tout primitif ! La sphère Metal est très vaste et notre musique rentre dans cette sphère. On est à la limite de la musique contemporaine et du Metal, surtout sur ce nouvel album, où tu peux trouver aussi des influences jazz et classique.

Et avant de vous lancer dans l'aventure Monoliths&Dimension, aviez-vous déjà une idée précise de la marche à suivre et surtout, du résultat que vous souhaitiez obtenir ?
On avait une idée précise, je dirais, et on l'a construite pas à pas. En fait, depuis notre quatrième album, White2, on avait envie de travailler avec des instruments classiques sans avoir les moyens de le faire. On voulait travailler spécifiquement avec Eyvind Kang aussi et c'est le point de départ de cet album. Après, on a fait des choses plus ou moins planifiées, comme ces chœurs sur « Big Church » par exemple. D'ailleurs, je pense que ce titre est celui qui porte le mieux l'étiquette « musique contemporaine ». C'est la meilleure introduction à notre son pour une personne qui veut comprendre notre démarche. Mais pour construire ce morceau, on a dû d'abord le déchiffrer, étape par étape. On a invité une chanteuse pour faire des essais. Elle ne voulait pas trop, alors on a changé certains instruments, puis essayé une chorale. C'est parti de Jessika Kenney, qui est une chanteuse madrigale extraordinaire. Et elle avait collaboré avec un ensemble viennois, 2 producteurs et 9 chanteuses. On s'est lancé et c'était comme une révélation, ça collait parfaitement et le morceau était vraiment né. Tout s'est parfaitement passé... Le fait que l'ensemble soit autrichien et qu'il chante un texte hongrois ajoute une dimension supplémentaire à « Big Church ». Attila (chant – qui est hongrois et qui est à l'origine du texte de cette chanson : un unique mot de 44 lettres -ndlr-) leur donnait des conseils sur la prononciation et Eyvind les dirigeait. Vraiment, ça s'est super bien passé.

Et justement, Attila a encore pondu des concepts étranges. J'ai même entendu dire qu'il voulait enregistrer l'album au Liban, sur un site historique.
Exact, il a voulu nous amener à Baalbeck. On aurait pu essayer... Il y a d'ailleurs un festival de musique sur le site.

Vous auriez pu essayer d'y jouer !
(rires) Ouais, pourquoi pas ! Après tout, il y a des artistes occidentaux qui y jouent ! Mais ce qui est frappant, c'est que les Libanais eux-mêmes sont inconscients de la richesse incroyable de ce site... C'est un endroit extraordinaire. Et ça démontre toute la particularité d'Attila. Ce mec est un laser qui va pointer sur des choses très précises et il va essayer de tout comprendre, tout interpréter, de creuser au maximum. Baalbeck est un site mystérieux, avec des constructions énormes. On ne sait pas comment ils ont pu les réaliser. Attila m'a dit qu'il y a un bloc de pierre particulièrement impressionnant, qui doit faire 40m sur 20m sur 20m. Personne ne sait comment il a été déplacé ! Et à deux kilomètres de cette pierre, il y en a une autre, presque aussi grosse enfoncée dans le sol, comme si quelqu'un l'y avait jeté !

Et donc Attila a de la matière mystique à creuser !
Ouais, ce sont peut-être les extra-terrestres (rires)...

Attila a participé à la genèse de Monoliths&Dimension, il a aussi développé un concept sur le Pôle Nord d'« Agartha ».
C'est la première fois qu'il collabore vraiment en studio avec nous. Il avait chanté sur plusieurs titres par le passé. Et cette fois, il a vraiment collaboré activement aux paroles et aux thèmes. Il a choisi des thèmes, les a étudiés et nous les a présentés. Ensuite, il a développé ses idées. Il a vraiment une manière sophistiquée de travailler, il est très pointu...

Et techniquement, il est assez impressionnant. On est loin des clichés sur les chanteurs de black qui carburent à la bière et qui crachent leurs tripes !
C'est vrai, il y a pas mal de chanteurs black-metal qui font n'importe quoi, mais Attila n'est pas exactement un chanteur black-metal. C'est bien plus que ça. C'est un vrai chercheur dans le domaine du chant ! Je suis sûr que dans 20 ans, on parlera encore de lui comme quelqu'un qui a révolutionné le chant contemporain. Il doit juste participer à un ou deux autres projets sérieux dans le domaine de l'art moderne, ce qu'il va faire, j'en suis certain, et il pourra bâtir une sacré crédibilité.

SUNN O)))

Quand on s'est installé pour écouter Monoliths&Dimension, tu nous as clairement conseillé de nous asseoir en face des enceintes. Penses-tu qu'il faille écouter cet album dans un cadre particulier ? Par exemple, est-ce que tu déconseillerais aux gens de l'écouter dans les transports publics ou en faisant un jogging ?
Oh non, déjà, je ne veux rien interdire aux gens. Je voudrais au contraire les encourager à écouter plus de musique et partout. Mais c'est vrai que dans certaines conditions, cet album sonne mieux et comme je vous ai installés, c'était juste idéal. La bonne musique sonne bien mieux sur un bon système d'écoute...

Il faut aussi pas mal d'attention pour écouter SUNN O))).
Oui, c'est vrai, il faut être attentif. Disons que tu apprécies mieux les détails. Ça peut servir de musique de fond aussi... Un ami à moi utilise SUNN pour dormir, les gens ont des méthodes différentes pour apprécier la musique.

La première impression qui me vienne à l'écoute de ce nouvel album, c'est que votre musique est vivante. Elle bouge, elle évolue et reste imprévisible. Et à chaque écoute, elle peut changer ! Est-elle composée de la même manière ? Ou est-ce que vous avez des choses précises, figées dans l'esprit quand vous composez ?
C'est sûr, c'est de la musique organique. Ça reste vivant en effet. On a des choses à l'esprit au départ mais on laisse la musique prendre forme, se développer par elle-même. C'est plus excitant, parce que nous-mêmes, lorsqu'on se retourne pour voir ce qu'on a crée, on peut être étonné de la direction dans laquelle la chanson est partie.

Et cette impression est particulièrement forte sur le premier titre, « Agartha », où on a vraiment l'impression d'avoir affaire à la Nature sauvage ! Les bruits de la nature peuvent être effrayants !
Je suis content que tu ais ressenti ça !

Penses-tu qu'il y ait un aspect religieux dans la musique de SUNN ? En d'autres termes, faut-il y croire pour l'apprécier ?
Humm... Je n'aime pas trop le terme « religieux ». Il y a peut-être des qualités spirituelles dans notre musique. Je ne sais pas trop comment les gens la reçoivent, en fait... Mais je pense que si tu aimes la musique en général et que t'es ouvert d'esprit, assez pour t'accrocher et essayer de comprendre, alors tu vas apprécier plus facilement SUNN. Et il faut être patient (rires). C'est une échelle temporelle différente. Tout va si vite de nos jours, même comparé à il y a 3 ans ! Et je pense qu'il est possible d'échapper à tout ça en écoutant de la musique contemporaine ou SUNN. Mais encore une fois, ce n'est que mon avis personnel et je ne veux pas imposer un style d'écoute à qui que ce soit. Et pour en revenir au début de ma réponse, tout ça peut aboutir en effet à une vision spirituelle de la musique.

Et vous jouez pas mal là-dessus sur scène. Il y a une dimension visuelle extrêmement importante chez SUNN.
Ce n'est pas une dimension, c'est carrément un processus créatif que d'essayer de rendre notre musique cérémoniale. Tout comme c'est un processus que d'essayer de déconstruire la dimension habituelle de la musique. La musique possède cette caractéristique particulière qui consiste à te sortir de ton espace-temps, sur une période de 60 minutes par exemple. Et sur scène, le public peut participer à cette expérience, la musique devient physique et peut transporter toute la salle.

Justement, SUNN, c'est plus que de la musique, c'est tout un concept ou une expérience artistique. Avez-vous pensé à l'exprimer autrement ? Par un film, un spectacle scénique ?
J'espère vraiment qu'on pourra l'exprimer par l'image un jour. Il y a un film de Jim Jarmusch qui sort bientôt, qui s'appelle « The Limits Of Control » et qui a pris quelques chansons de SUNN. Il y a aussi Earth et Boris. C'est la première fois que SUNN O))) est présent sur un film aussi important. Et c'est très excitant, parce qu'on aime beaucoup ce réalisateur. On attend l'occasion idéale pour faire un film ou une vidéo mais ce n'est pas évident et l'occasion de faire quelque chose de bien ne s'est toujours pas présentée ! J'ai discuté avec Chris Cunningham (artiste video-plasticien anglais -ndlr-) de cette possibilité, notamment pour faire un court-métrage. Mais on fait très attention, on ne veut pas faire un truc commun ou peu abouti. Pas le truc Metal habituel non plus.

C'est vrai qu'on imagine mal SUNN O))) sortir un DVD live, à regarder à la maison dans son canapé...
Mais les gens n'arrêtent pas de le réclamer, tu sais ! On reçoit énormément de mails en ce sens ! J'encourage les gens à filmer nos shows et à les partager. J'aime ce côté des vidéos live. Ça ne me gène pas, même si je ne comprends pas les mecs qui essayent de trouver TOUS les shows de SUNN. Je pense aussi que pour progresser, on pourrait par exemple composer une bande originale de film. On reçoit pas mal de films d'étudiants et des personnes qui font de bonnes propositions, mais le problème est le même dans plus de 90% des cas : pas de budget ! Et on ne veut vraiment pas faire un truc sans avoir les moyens appropriés. Certains nous ont proposé 300 $ de leur poche (rires). C'est généreux, mais largement insuffisant. Mais bon, qui sait ? On n'avait jamais imaginé nous lancer dans un truc aussi ambitieux et compliqué que Monoliths&Dimensions, alors pourquoi pas un film un jour ?

Comment-te sens-tu maintenant que l'album va sortir ? Pas trop de pression ? Vous avez investi énormément, et vous êtes attendus comme un groupe « culte ».
La seule pression que je m'impose est celle de pouvoir offrir ce nouvel album comme il se doit. Greg sort le CD sur son label, et moi, je m'occupe de l'artwork et du design. On mise énormément, comme tu dis, et c'est vraiment notre bébé. Et même si ça nous met la pression, ça nous soulage d'un autre côté, puisqu'on est les seuls responsables et les seuls à assumer ! Je n'ai pas peur de la réaction des gens parce que je sais pertinemment que chacun aura sa chanson préférée, son album préféré et qu'on n’y peut rien au final.

PS : Merci à Doris (Southern), Sylvain (Differ'Ant) et Stephen O'Malley pour cette après-midi agréable et cette interview !


SUNN O))) – Monolyths&Dimension
Southern Lord / Differ’Ant



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