BLUENECK



Leave my scars...


D'albums en albums, Denovali défend une musique racée et grandiose. Après l'impressionnant  dernier volet de la trilogie Fall Of Efrafa (Inle), cette fois-ci, c'est de Blueneck dont il s'agit. Leur premier opus, Scars Of The Midwest, nous avait  touchés par son honnêteté et sa maîtrise des codes ; mais pour d'obscures raisons, le disque était passé quasi inaperçu. Le groupe nous revient aujourd'hui avec un deuxième effort plus travaillé encore, plus mélancolique et plus profond. The Fallen Host matérialise des émotions difficiles à exprimer et devrait – croisons les doigts – permettre à ces Anglais de Bristol de jouir d'un succès populaire (le médiatique étant déjà acquis) plus prononcé.

Interview à paraître également dans le Metal Obs' 37 de Février 2010

Entretien avec Duncan (voix, guitare, piano), Rich (petit nouveau) et Ben G (guitare) – Par Gilles Der Kaiser
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Votre nouvel album vient de sortir... Comment vous sentez-vous ?
Duncan : C'est cool de le voir enfin sortir. Tu sais, ça fait un moment qu'on est dessus là, mais comme  pour beaucoup de sorties, il n'a pas été disponible tout de suite. Donc en un sens, c'est un peu un soulagement qu'il soit sorti. C'est presque comme si maintenant on pouvait passer à autre chose.
Ben G : C'est aussi toujours le moment où l'on est un peu anxieux ; on se demande si les gens vont aimer ce qu'on a fait ou pas.

Parallèlement à la sortie de The Fallen Host, Denovali vient de ressortir votre premier album (Scars Of The Midwest). Quelles sont d'après vous les principales différences entre ces deux albums ?
Rich : Au niveau des paroles, du moins pour moi, c'est un peu comme un pas en avant, beaucoup plus direct. Au niveau du son, on avait un peu plus d'outils à disposition. Le fait d'avoir eu Sandy du Pirate Ship Quintet au violoncelle a vraiment été synonyme d'une importante plus-value. J'ai l'impression que sur The Fallen Host, tout est plus concis et plus réfléchi que sur le premier.
Duncan : Oui, je pense qu'il y a une certaine progression avec cet album. On était plus à l'aise pour explorer différents sons et techniques d'enregistrement, comme par exemple la manière d'approcher la batterie et la voix. Et comme l'a dit Rich, c'est plus profond, plus personnel sur le plan des textes. Maintenant que le deuxième album est fait, j'ai l'impression qu'il y a la confiance nécessaire au sein du groupe pour amener cette progression plus loin encore sur le troisième.

Pensez-vous que The Fallen Host vous fera accéder à un public plus large ?
Peut-être. Cette fois, on le propose vraiment dans de bonnes conditions. Et Denovali bosse vraiment beaucoup pour nous offrir la meilleure visibilité possible.
Rich : J’ai l’impression qu’il existe un certain public pour ce genre de musique, mais la principale difficulté est dans les ressources dont il faut disposer pour y accéder. Même avec le soutien de nos labels, je pense qu’il est facile d’oublier à quel point des groupes comme nous dépendent avant tout du bouche-à-oreille et de la chance.

Parlons maintenant un peu du contenu de The Fallen Host. J’ai l’impression que le son ressort comme étant plus léger, plus aérien et moins grave, voire moins anxieux que sur Scars Of The Midwest.
Duncan : Je suis assez d’accord avec toi. Il y a moins de crainte et de désespoir sur The Fallen Host, remplacé cette fois-ci par une plus grande tension tout au long du disque, traitant notamment du deuil, du regret et de la confusion émotionnelle. J'ai vraiment l'impression qu'il y a quelque chose de plus maîtrisé dans ces chansons.
Ben G : Oui, je pense que cet album est plus « chaleureux ». C’est un peu comme s’il était plus accessible que « Scars », tout en étant plus détaché et plus profond au niveau des textes.
Rich : C'est un album envers lequel il est sans doute plus facile de s'identifier, de s'y retrouver. Le point de vue que l'on y défend y est plus passionné.

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Version promo digitale oblige, je n'ai pas pu lire les paroles. Duncan, qu'as-tu voulu développer cette fois-ci au travers de tes textes ?
Duncan : Je dirais qu'il y a une sorte de ligne directrice. Le deuil et la tristesse sont au cœur de The Fallen Host. Ce sont des thèmes dans lesquels beaucoup de gens peuvent se retrouver. L'album traite donc de cela, notamment par le biais d'expériences personnelles. Mais encore une fois, j'ai l'impression que beaucoup s'identifieront aux émotions qu'on a voulues véhiculer.

J'ai d'ailleurs lu que tes textes n'étaient écrits nulle part, qu'ils se trouvaient uniquement dans ta tête...
Oui, c'est vrai qu'elles ne sont pas vraiment toutes écrites. J'ai des notes qui traînent un peu partout et parfois je tombe sur une feuille alors que je cherchais quelque chose d'autre... Mais rien n'est écrit dans son intégralité, essentiellement parce que je perds les bouts de papier !

Où vas-tu puiser ton inspiration ?
Il n'y a pas vraiment de limites à l'inspiration. Mon vécu, mais aussi des films, des livres, ce et ceux qui m'entourent. J'ai tendance à partir d'une expérience personnelle et à la développer en thématique ou en histoire. Même si une chanson est de nature personnelle, elle sera quand même relatée à la troisième personne.

Au niveau de ta voix, j'ai eu l'impression qu'elle ressortait de manière plus douce, qu'elle se mélangeait mieux à la musique que sur vos précédentes sorties...
On n'a pas essayé de restituer les voix différemment que pour Scars. Mais initialement, les parties vocales sur The Fallen Host étaient plus sèches et ressortaient davantage dans le mix. On a finalement décidé que les morceaux sonnaient mieux lorsque l'on y incorporait plus encore la voix à la musique. Je suis content du résultat.

Les morceaux traversent pour la plupart différentes phases et sont tous assez longs. Comment vous y prenez-vous pour les composer ?
Ben G : En règle générale, Duncan essaie des trucs sur son piano chez lui, qu'il nous amène ensuite. Et ce, qu'il s'agisse du morceau dans son intégralité ou juste de son squelette. Pour le reste, on regarde ce qui ressort lorsque l'on jamme ensemble. Pour parfois mettre des choses en stand-by avant de les oublier...
Duncan : C'est vrai qu'on ne se pose jamais vraiment tous ensemble pour écrire de manière plus carrée, plus clinique. Comme l'a dit Ben, on part souvent d'une idée qu'on laisse ensuite se développer au sein du groupe pour voir où elle nous mènera.

Certains morceaux de l'album ont été écrits il y a très longtemps (Seven, me semble-t-il, date de 2007). Combien de temps a duré le processus de composition pour The Fallen Host ?
Ben G : On a bossé environ deux ans dessus. On a travaillé sur beaucoup de trucs et on a gardé pour l'album les trucs qui collaient ensemble.
Duncan : Revelations est le plus vieux sur le disque, je crois. Ça fait un petit bout de temps qu'on la joue en live, mais on n’avait jamais vraiment trouvé la bonne manière pour l'appréhender en studio. Dès l'instant où on l'a écrite, j'ai su qu'il s'agissait du titre qui clôturerait le prochain album.

Vous avez enregistré dans la campagne anglaise. Avez-vous le sentiment que cela ait eu un impact sur la manière dont ressort finalement The Fallen Host ?
Ben G : Ça explique sans doute pourquoi on est si lents...
Duncan : J'ai surtout l'impression que ce genre d'environnement t'aide à être plus relax et à t'éloigner du stress quotidien. C'est important pour nous de pouvoir se mettre dans un autre état d'esprit qui nous permette de nous plonger totalement dans ce que l'on fait.

Sandy du Pirate Ship Quintet apparaît au violoncelle sur quelques morceaux. Comment la collaboration s'est-elle passée ?
On a souvent fait des concerts avec eux. C'est un groupe fantastique. Et avec le temps, on leur a souvent « emprunté » des musiciens pour nos live. On avait joué sur scène avec Sandy quelques fois et tout s'était vraiment très bien passé ; donc c'était établit dès le départ qu'il allait jouer sur beaucoup de nos nouveaux morceaux. Certains ont même été composés avec Sandy en tête.
Ben G : Il a été génial. C'est un musicien incroyable. Le fait de l'avoir dans le même bateau a réellement mené l'album à un tout autre niveau.

Vous avez décidé d'également sortir une version radio de Lilitu (environ deux fois moins longue que la version qui figure sur l'album). Ne voyez-vous là pas un moyen de partager votre musique d'une manière qui ne soit pas complète ?
Disons que ce n'est pas vraiment ce que nous voulions, mais on est conscient du fait que c'était nécessaire si l'on voulait avoir une chance de passer à la radio. Il y a aussi une vidéo qui accompagne le morceau – et une vidéo de 9 minutes n'a que peu de chances d'être diffusée. Corin, notre producteur, a vraiment fait un excellent travail dans la manière dont il a raccourci le morceau. L'essence de la chanson y est toujours et ce n'est pas forcément évident lorsqu'il y a autant à enlever.
Rich : Je pense que c'est une version intéressante du morceau et soyons honnête, les chances qu'il soit entendu sont beaucoup plus grandes ainsi. On ne se cache pas le fait qu'on ait envie que le plus de gens possible entendent ce disque.

BLUENECK

Parlons maintenant un peu de vos influences. Certaines textures et sonorités sur The Fallen Host me rappellent Slow Riot For New Zero Kanada de Godspeed You! Black Emperor. Dans quelle mesure ce groupe vous a-t-il influencé ?
Nous adorons leur musique, mais nous n'essayons absolument pas de les recopier. Ensuite, je suis tout de même d'accord qu'il y a des similitudes. Les humeurs et les émotions qu'ils véhiculent dans leur musique sont aussi des choses que l'on essaie de faire, mais à notre manière.
Duncan : C'est un groupe fantastique. Il me paraît difficile de ne pas être influencé par de si belles compositions. Donc je pense qu'on est tous heureux et touchés que des gens voient une influence d'un groupe pareil sur notre musique.

L'autre groupe auquel vous êtes souvent comparé est Sigur Ros... Mais j'ai toujours ressenti votre musique comme étant plus triste, plus sombre...
Ben G : On le prend aussi comme un compliment d'être comparés à eux, mais tu as raison, je pense aussi que notre son est plus sombre.
Rich : Lorsque Blueneck vendra autant d'albums que Sigur Ros, peut-être que l'on commencera à écrire des chansons plus joyeuses !

L'album a été enregistré en février et mars, mais il ne sera disponible en Grande-Bretagne qu'en février 2010. Pourquoi ?
Ben G : On a beaucoup travaillé sur cet album.
Rich : On aurait préféré qu'il soit disponible chez nous avant, mais on a finalement décidé qu'il nous fallait plus de temps pour le promouvoir avant sa sortie. On a vraiment envie que le plus de gens possible entende ce disque et on espère donc que ce petit retard ne sera pas trop frustrant pour les gens qui l'attendent.

Votre premier album était resté, malgré sa qualité, assez discret. Maintenant vous jouissez de l'aide d'EMI pour la Grande-Bretagne...
Ben G : The Fallen Host sort véritablement sur Perfect Storm, qui est notre propre structure, mais c'est vrai que c'est fantastique de pouvoir profiter de tous les avantages de la grande machine qu'est EMI (avec qui on a un deal). On a juste envie d'être entendu par le plus de gens possible. Composer de la musique pour un film est aussi quelque chose que nous aimerions faire...
Duncan : Oui, composer pour un film est quelque chose que l'on va essayer de concrétiser, je pense... Ne serait-ce que pour le challenge un peu différent. Thomas et Timo de Denovali sont en train de réaliser un court métrage qui, visuellement, a l'air magnifique. On a déjà commencé à bosser sur quelques compos pour ça. En ce qui concerne nos plans pour The Fallen Host, on va essayer de le défendre sur scène beaucoup plus que ce que l'on avait fait pour Scars Of The Midwest. Il y a beaucoup de fans dans un large panel de pays... et ce serait bien que cette fois-ci on leur montre vraiment à quel point on apprécie leur soutien en se rendant à plus d'endroits pour permettre aux gens de nous voir en live.

Les morceaux sur The Fallen Host sont davantage construits sur des crescendos, de grandes montées (« Low », par exemple) que ne l'était l'album précédent. Est-ce là quelque chose que vous souhaitiez plus travailler dans le cadre de cet album ?
Ben G : Je ne crois pas qu'il y ait eu une décision consciente de plus travailler ces éléments-là. Il était plus question de laisser les morceaux se développer comme on le sentait.
Duncan : Sur certains morceaux, on voulait tout de même que les apogées cristallisent un certain sentiment en rapport avec le morceau. Donc en un sens, on a pris une décision consciente pour que les fins soient plus puissantes et qu'elles aient une « relâche ». D'un autre côté, on s'est aussi un peu retenu pour que la chanson contienne toujours un élément de frustration et de tension.

Pour ce qui est de l''artwork, celui de The Fallen Host crée une ambiance très différente de ce qui avait été proposé pour Scars Of The Midwest. Comment faites-vous pour définir identité visuelle qui colle à un album ?
Ben G : On a fait l'artwork nous-mêmes. J'ai eu la chance de tomber sur une série de photos qui, me semble-t-il, collaient parfaitement à l'ambiance de l'album. Et on a tous été d'accord que ça fonctionnait.

Entre vos deux albums, vous aviez composé un EP, Twelve Days, que vous aviez mis à disposition gratuitement sur le web. Est-ce là aussi une alternative que vous aviez envisagée pour The Fallen Host ?
L'EP Twelve Days était un projet totalement DIY au sein du groupe que l'on a voulu l'offrir, dans l'esprit de Noël. Peut-être même que l'on va en faire un nouveau cette année (Ndlr : le groupe l'a récemment confirmé sur sa page Facebook). Par contre, je ne pense pas que l'on aurait pu se permettre de proposer The Fallen Host gratuitement, vu la peine qu'on a à financer nos albums...
Rich : Le soutien de nos labels (Denovali et EMI) est essentiel. Leurs ressources pour la promotion de Blueneck sont vitales pour faire parvenir notre musique à un public plus large. On n’est vraiment pas très doués pour l'auto-promotion ; on préfère nettement jouer de la musique.

L'album a une très forte unité, ce qui le rend difficilement divisible. Comment allez-vous l'adapter sur scène ? Comptez-vous le « découper » ?
Ben G : On savait que ça allait être un challenge, mais on pense avoir concocté une setlist qui lui rende justice. Sandy joue d'ailleurs avec nous lorsqu'il est disponible.
Rich : On aime le challenge que cela représente. Réinterpréter les chansons pour qu'elles fonctionnent en live est vraiment une pure partie de plaisir. Ça rend la chose beaucoup plus intéressante à la fois pour nous et, on l'espère, pour le public.

Peut-être qu'on aura l'occasion de le voir de nos propres yeux, en France notamment ?
Une chose est sûre : on a envie de jouer cet album pour le plus de gens possible, dans le plus d'endroits possibles. On adorerait rejouer en France. On espère avoir des dates à partager avec vous dans un avenir proche.
Duncan : Oui. On est sur le point de finaliser une petite virée européenne pour la première partie de 2010. On annoncera tout ça dès que ce sera définitif. On est très impatients d'être à nouveau sur la route !


BLUENECK – The Fallen Host
Denovali Records / EMI



Myspace : www.myspace.com/blueneck