ELUVEITIE


Comme si de rien n'était...


Après un album acoustique et expérimental de transition, nos bardes helvètes préférés sont de retour avec un album électrique réussi, Everything Remains As It Never Was, qui va ravir les fans de Slania. Et tout semble s’accélérer pour ce groupe de death/folk metal fondé en 2002, surtout depuis leur signature avec le label allemand Nuclear Blast. Faisons le point avec Chrigel, leur sympathique chef de clan et chanteur, depuis Zürich en Suisse.

Interview parue également dans le Metal Obs' 37 de Février 2010

Entretien avec Chrigel Glanzmann (chant, mandoline, cornemuse) – Par Seigneur Fred
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Tout d’abord, quel est le line-up actuel au sein d’Eluveitie car il y a eu quelques changements suite au départ des frères Kirder en 2008… ?
Salut à tous ! Eh bien, il y a Ivo Henzi à la guitare, Siméon Koch à l’autre guitare, Merlin Sutter à la batterie, Meri Tadic au violon irlandais et au chant, Anna Murphy à la vielle à roue, à la flûte et au chant également, et enfin moi, Chrigel, chanteur et aussi joueur de mandoline, de petites flûtes, et à la cornemuse. Et que puis-je ajouter à propos de notre line-up ? Comme tu l’as dit, il y a eu des modifications dans le groupe il y a un an et demi. Nous avons maintenant un nouveau bassiste, Kay Brem, et un nouveau joueur de flûtes et de cornemuses avec Päde Kistler. Nous sommes vraiment heureux avec eux, ils se sont révélés être un excellent choix en fait ! Et depuis, on se sent comme s'ils avaient toujours fait partie de la bande.

Pourquoi les frères Kirder ont-ils quitté subitement le groupe après la sortie de Slania (2008) et que deviennent-ils ? Es-tu encore en contact et en bon termes avec eux ?
Plus ou moins. Ils sont partis pour des raisons personnelles juste après la tournée américaine du Paganfest en mai 2008. Je ne suis plus trop en contact avec eux, et je n’ai tout simplement pas le temps. Mais je sais qu’ils ont toujours leur groupe de folklore Red Shamrock. En outre, Rafi a fondé un groupe de country baptisé Deathrope peu de temps après.

A propos de votre précédent album Evocation I - The Arcane Dominion paru en 2009, comment doit-on le considérer ? Un intermezzo acoustique ? Une parenthèse expérimentale de pur folklore celtique ?
Ha ha ! (rires) C’est un peu de tout ça ! Faire quelque chose de purement acoustique était dans nos esprits depuis déjà un bon moment. En fait, j’avais commencé à écrire le concept pour Evocation I en même temps que j’ai écrit et composé Slania. C’était donc juste comme un challenge pour nous tous, quelque chose que nous voulions vraiment réaliser et essayer au moins une fois. Et bien, nous l’avons accompli l’an dernier… Et il y aura une suite, Evocation Part II, à un moment donné plus tard. On n’a pas encore décidé cependant quand nous le ferons…

Vous êtes plutôt productifs ces dernières années pour un jeune groupe : le EP Vén en 2004 (rééd. en 2008), Spirit en 2006, Slania en 2008, puis en 2009 Evocation I - The Arcane Dominion, et enfin déjà le nouvel album en ce début d’année 2010 : Everything Remains As It Never Was. Aviez-vous déjà planifié toutes ces sorties ou bien est-ce votre puissant label Nuclear Blast qui vous impose la sortie d’un disque quasiment chaque année maintenant ?
Ha ha ! Oh, ce n’est pas vraiment ça même si on a un contrat bien sûr ! Je dirais en fait que si l’inspiration est là, telle une muse, et si on désire faire un nouveau disque, alors pourquoi devrions-nous attendre pour le faire ? Nous sommes juste des musiciens terriblement passionnés ! Jouer (et aussi écrire et composer) de la musique, c’est ça notre plus grande passion, c’est tout ce que l’on veut ! Et alors, pourquoi pas ? Donc oui, après la sortie de notre nouvel album, nous aurons donc sorti trois albums longue durée en moins de deux ans. Mais bien entendu, ceci ne signifie pas pour autant que nous continuerons ainsi, dans le sens où ce serait une règle imposée à nous tous. Peut-être que notre album suivant nous demandera plus de temps. Peut-être pas, qui sait ? Nous ne savons pas. La musique doit se développer et évoluer naturellement selon nous. Et donc, on se laisse porter par ce que l’on fait. Parfois, cela peut survenir plus rapidement, parfois cela prend plus de temps, on verra bien au gré de notre inspiration…

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Les critiques furent bonnes pour Slania et personnellement je l’adore. Evocation I a bien fonctionné aussi mais il est différent (Ndlr : Evocation I : The Arcane Dominion s’est placé dans les charts hardrock #20 en Suisse et #60 en Allemagne). Avez-vous ressenti une certaine pression de la part des fans ou des médias durant la genèse du nouvel album Everything Remains (…) ?
Non, en fait non. Bien sûr, tu as une certaine demande, une certaine exigence de toi-même déjà... Tu veux faire les choses de mieux en mieux à chaque fois. Mais il n’y aucune pression extérieure, vraiment !

Comment se sont déroulées alors la composition et l’écriture de ce nouveau disque, cette fois-ci ? Tu fais tout ou bien le groupe participe ? Eluveitie est une tribu avec son chef ou bien une assemblée démocratique ? (rires)
A la base, c’est moi qui écris et compose la musique d’Eluveitie. Le processus d’écriture pour ce nouvel album a été assez similaire à nos précédents albums. Cela a peut-être été légèrement différent cette fois-ci dans la mesure où j’ai d’avantage travaillé avec Ivo, notre guitariste. Alors que j’avais tout écrit principalement sur Slania ou Spirit par exemple, là, on a travaillé ensemble avec Ivo sur plusieurs chansons. Et trois morceaux sur l’album ont même été entièrement écrits par lui. C’est une évolution dont je suis ravi car Ivo est un brillant auteur. A propos de politique dans le groupe (rires), disons que nous pratiquons « une dictature démocratique » en quelque sorte !! (rires)

Il y a une chanson intitulée “Lugdunon” sur le nouvel album en référence à l’ancienne capitale des Gaules, aujourd’hui Lyon, en France. As-tu fait des recherches archéologiques et linguistiques celtiques comme pour Slania ?
Oui, bien sûr ! Pour nous, c’est toujours une part importante de notre travail en amont pour un album, notamment au niveau des paroles chantées en bonne partie en ancien gaulois reconstitué.

Sur l’artwork de Everything Remains…, on peut observer une jeune femme près d’une maison avec les montagnes suisses en fond. Est-ce là le même personnage que la petite fille celte avec son épée sur Slania ? Quel est le concept derrière ?
Eh bien, oui. C’est en quelque sorte la petite fille “Slania” que tu peux voir de nouveau sur la pochette... elle a simplement grandi et est devenue une jeune femme à présent. C’était juste une idée venue spontanément, et on a bien aimé. Mais il n’y a pas vraiment d’“histoire de Slania” proprement dite, donc Everything Remains As It Never Was peut être difficilement vu comme une continuation à cela. L’artwork est plus artistique, comme d’habitude. C’est plus une métaphore et un travail atmosphérique pour nous, pour poser l’ambiance, le cadre. Cela exprime la même chose à la base. La pochette représentant le personnage de “Slania” exprime comme un voyage dans le passé. La fille prend d’une certaine manière la main de l’auditeur… et elle lui parle de sa vie, de son époque, des gens et de sa culture celtique.

A propos de l’enregistrement studio, avez-vous utilisé la même  méthode que sur Slania : l’enregistrement des parties métal et du chant au Fascination Street à Orebrö (Suède) et tous les éléments folkloriques avec les instruments typiques celtes au Liechtenstein ? Est-ce Jens Bogren qui a fait le mixage final ?
Non, nous n’avons pas enregistré en Suède cette fois-ci. On a tout de même encore réutilisé les Devil’studios au Liechtenstein pour certains instruments folk. Les parties Metal, quant à elles, ont été enregistrées en Suisse avec Tommy Vetterli (Coroner, Kreator, etc.) dans ses Newsound studios. Tommy est un ingénieur du son impressionnant et il a fait un boulot fantastique avec nous, je pense ! L’album a été mixé à The Welsh (UK) aux Nott-in Pill studios par Colin Richardson (Slipknot, Machine Head, Trivium, Kreator, Behemoth et tant d’autres !) et par Martyn Ginge Ford (Bullet For My Valentine, Roadrunner United, Skindread, Soulfly, etc.), qui ont également fait un job incroyable, à mon avis. Tout spécialement quand tu regardes et écoutes la clarté de l’ensemble. Le son y est gros et puissant, mais chaque instrument seul ressort clairement à chaque fois, ce qui n’est pas du tout une chose évidente à accomplir avec un album d’Eluveitie, car il y a toujours des choses qui vont de travers durant l’enregistrement, et parfois ça peut devenir un véritable enfer avec nous (rires). Et pour finir, le mastering a été réalisé par John Davis (Led Zeppelin, U2, Kaiser Chiefs, Arctic Monkeys et bien d’autres…) qui a ajouté la touche finale après le mixage.

Dans les chants, il y a toujours des vocaux féminins avec Meri et Anna en duo avec tes growls sur plusieurs chansons (“Everything remains”, “Quoth the raven”, “Lugdunom”, etc.). Ne voudrais-tu pas expérimenter davantage avec elles afin de créer une musique folk plus atmosphérique ? Quelle est ta vision des choses ?
Si nous voulions utiliser d’avantage de chants féminins dans le but de créer quelque chose, alors nous pourrions simplement le faire, n’est-ce pas ? Donc, mon avis là-dessus : c’est déjà bien dont la manière cela sonne actuellement. Cela convient bien à Eluveitie, et c’est ce qui fait que nous avons un registre vocal large aujourd’hui.

Dans une précédente interview, tu m’avais avoué être fan de death metal suédois, tout particulièrement d’Entombed mais aussi d’In Flames. Quelles sont tes autres influences musicales exactement ? Qu’aimes-tu écouter en ce moment ?
Pour être honnête, je n’écoute pas de musique très souvent. Quand j’en écoute, j’écoute plutôt principalement de la musique traditionnelle folklorique et donc aussi du bon vieux death metal (ou assimilé)... ou bien parfois juste la radio, ce qui signifie : Lady Gaga, Lily Allen et compagnie (rires) ! Donc, je ne peux pas vraiment te nommer des groupes susceptibles de m’influencer, je ne pourrais pas penser à un en particulier. Mais je dirais peut-être, eh bien, The Bothy Band, un groupe traditionnel irlandais de folklore dans les années 1970. Et je suis un grand fan de Paddy Keenan, leur célèbre joueur de flûtes et de cornemuse irlandaise.

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Musicalement, on remarque que vos influences métal sont mieux assimilées et mixées dans l’ensemble et tout spécialement les riffs typiques du death metal mélodique suédois. Es-tu d’accord avec cela et comment présenterais-tu ce nouveau disque à tes fans ?
Hum, non, en fait je ne pense pas du tout ainsi. Quand j’écris la musique, cela vient et se développe presque naturellement. Et je crois que notre nouvel album est le plus dur, le plus sérieux et le plus sombre que nous n’ayons jamais fait, et de loin ! Mais les choses sont survenues ainsi, comme ça, et ont évolué naturellement encore une fois. Donc, je ne pense pas qu’il y ait tant de choses proches d’un style particulier de métal ou autre. Cela exprime probablement, et tout simplement, le sens des paroles contenu dans les chansons de l’album, et le côté émotionnel qui y est associé.

Récemment, chez vous en Suisse, il y a eu un référendum auprès de la population sur les constructions de minarets. Cela fut perçu comme un choc en Europe et notamment en France, car la majorité de vos concitoyens ont voté contre le développement des édifices religieux musulmans et cela a révélé une forte présence de la droite et de l’extrême droite. Avec votre musique basée sur la culture celtique et donc vos racines, ne craignez-vous pas d’être mal compris par certains fans ou certaines personnes étrangères à votre culture ?
Non, je n’ai pas peur de cela. Pourquoi le serais-je ? Je veux dire, si quelqu’un se penche sérieusement sur nous, que ce soit sur l’histoire des Celtes ou sur notre groupe, alors il verra clairement que rien de tout ça n’est lié à une quelconque forme de discrimination politique ou religieuse, ou à un jugement à l’égard d’autres cultures. Il n’y a aucune idée de ce genre chez nous. Selon moi et donc selon ma vision celtique des choses, toutes les cultures sont égales. Et si quelqu’un  ne prend pas cela sérieusement et cherche des problèmes dans tout cela, alors je ne lui donnerai pas ce qu’il cherche… cela serait trop facile. Il y a toujours des esprits faibles et tordus qui cherchent principalement quelque chose ou quelqu’un à attaquer en faisant des amalgames faciles pour porter un affront à l’égard des autres. Pourquoi donc se soucier d’eux ? Ils n’en valent pas la peine. A propos de ce fâcheux évènement en Suisse, eh bien, que puis-je dire ? Tout d’abord, il faut préciser un peu les choses : les lieux de cultes religieux musulmans sont toujours autorisés dans la Confédération Helvétique et le resteront. Il y a des mosquées suisses sans compter et leurs pratiquants sont libres de construire autant qu’ils le désirent ! La seule chose qui a été stoppée est la construction de minarets, les grandes tours qui dominent la mosquée et invitent à la prière. Et c’est cela qui fut décidé lors du référendum, ce qui est normal car pour chaque décision, il y a en général un référendum auprès de la population en Suisse. C’est toujours le peuple qui décide, et non le gouvernement. C’est la démocratie directe. Mais de toute manière, en regardant la polémique entière à laquelle nous avons à faire, je m’interroge en fait sur plusieurs choses. Tiens, par exemple : comment est la réaction des gens en Europe (et en France) sur le fait que, dans différentes nations Arabes, les clochers d’églises (qui sont l’équivalent pour les Chrétiens des minarets musulmans) ne sont pas autorisées ? Ou bien le fait que dans certains pays majoritairement musulmans, il est même interdit de porter une bible ou une croix sur soi, et il est également prohibé par la loi de se confesser au christianisme dans certains de ces pays (là où la Charia est la loi officielle), ce qui éloigne ces Etats de ce qu’on appelle la liberté de culte ? Comment font les pays occidentaux pour évaluer toutes ces choses ? Parlent-ils dans ce cas d’“intolérance” et de “discrimination” aussi ? Pour être honnête ! Ou d’un autre côté aussi : combien est vive la réaction des gens sur le fait que la Suisse s’accommode bien pour être la nation des chercheurs de terre d’asile par rapport à bien d’autres pays européens ? Ou encore, la réaction des gens est grande vis-à-vis de la Suisse qui accepte et a reçu plusieurs centaines de milliers d’immigrés de confession musulmane durant ces dernières décennies, et elle les aide et les soutient depuis qu’ils vivent ici. Par conséquent, ils peuvent bien être libres d’aller prier dans des endroits adaptés. Il y a tant de choses sur lesquelles je m’interroge. Que penser de toutes ces questions ? A mon avis, la critique qui s’est rapidement répandue sur notre pays, la Suisse, ces derniers temps émanant de diverses nations voisines européennes et occidentales, est principalement basée sur l’hypocrisie. Mais il n’y a rien de nouveau là-dedans, nous savons tous que c’est tellement plus facile de pointer quelqu’un du bout du doigt à portée de main et de le blâmer.

Pour conclure sur Eluveitie : en 2008, vous avez joué au festival Hellfest à Clisson, le même jour que Paradise Lost, Dimmu Borgir… Je suis ravi de voir que vous revenez y jouer en Juin 2010 ! Quel souvenir gardes-tu de votre passage au Hellfest ? Et à quoi peut-on s’attendre à voir cette année en festival avec vous ?
Ha ha ! Cool si tu nous y attends déjà ! C’est bon signe, ça ! Ouais, ce fut une bonne journée quand nous avons joué au Hellfest en France cette fois-là. Mais pour être honnête, je ne peux pas m’en rappeler beaucoup car j’avais beaucoup bu (rires) ! Et dans tous les cas, tu peux nous attendre de pied ferme au Hellfest, et on vous présentera donc en live beaucoup de nouveaux titres issus de notre nouvel album. De plus, nous interpréterons probablement certaines chansons acoustiques extraites de notre précédent disque Evocation I. Merci beaucoup une nouvelle fois pour l’interview, Fred. Et merci aussi à tous les lecteurs/lectrices pour l’intérêt porté à l’égard du groupe. On se voit tous au Hellfest. Salutations !


ELUVEITIE – Everything Remains As It Never Was
Nuclear Blast / Pias



Myspace : www.myspace.com/eluveitie