HEAVENWOOD

Chef d’œuvre mélancolique


Contemporain de ses camarades de Moonspell, Heavenwood représente en quelque sorte l’autre pillier de la scène Metal lusitanienne de ces deux dernières décennies. Fondé tout de même en 1992, ce groupe portugais a publié des disques envoûtants de Gothic Metal (le terme étant ici un peu réducteur) tels que Diva et Swallow dans les années 90, affirmant progressivement son identité artistique. Aujourd’hui, forts d’un deal avec le label français Listenable, nos amis musiciens, toujours si passionnés et attachants, publient seulement leur quatrième album, mais quel album ! Un triste chef d’œuvre de Dark Metal symphonique dont le titre, Abyss Masterpiece, lui sied à merveille. Comme quoi, il faut parfois savoir patienter dans la vie. 

Interview également parue dans le Metal Obs' 46 de Mars / Avril 2011

Entretien avec Ricardo Dias (guitare, chant clair) par Seigneur Fred et Sophiecat - Photo : André Henriques
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Où ont été prises vos nouvelles photos promotionnelles ? Elles sont magnifiques…
Tout d’abord un grand merci du Portugal à tous les fans français d’Heavenwood. Nous avons fait la session photo pour Abyss Masterpiece avec l’un des photographes de Rock / Metal portugais les plus cools, André Henriques, dans le centre ville de Porto. Le côté symbolique est représenté par la célèbre cathédrale « Sé ». Tout a un sens métaphorique ici et non religieux, Heavenwood n’étant pas un groupe catholique comme certains pourraient le penser… Cela fait partie de l’histoire portugaise et nous voulions en parler. Les paroles de notre nouvel album sont inspirées de la première femme poète portugaise D. Leonor, marquise d’Alorna, au XVIIIème siècle, et de ses huit années passées en captivité durant sa jeunesse jusqu’à l’âge adulte où elle fut placée dans un monastère pour un crime que ses parents n’avaient pas commis contre le gouvernement portugais. Nous parlons de religion dans cet album mais pas pour les meilleures raisons, c’est plus une question de justice. J’ai eu du mal à trouver et à étudier ses poèmes, à découvrir qui elle était et pourquoi elle n’est pas aussi connue que Fernando Pessoa, Luis Camoes ou Florbela Espanca. Elle s’est battue pour le droit des femmes et les droits de l’Homme (les femmes n’avaient aucun droit à cette époque). Elle prenait un pseudonyme pour ses poèmes : Alcipe. Elle a aussi fondé la Rose Society, c’était quelqu’un de très mystérieux.

A quoi ressemblait votre musique à vos débuts quand le groupe s’appelait encore Disgorged ? C’était déjà du Gothic Metal comme aujourd’hui ?
Nos racines - et nous restons fidèles à nos racines - étaient le Death Metal mélodique. Nous avons commencé à être étiquetés Gothic Metal à partir de l’album Diva en 1996. Avant, notre son était un mix de Metal suédois et anglais classique, mais avec ce quatrième album Abyss Masterpiece, nous avons éprouvé le besoin d’exprimer la rage et l’émotion des textes avec des parties plus sombres et Heavy. Cela n’a pas été facile de les marier avec les parties orchestrales de Dominic Joutsen… Nous avons fait une sorte de Tétris musical avec les textes et la musique.

Comme Morbid God qui est devenu Moonspell en 1992, vous avez alors changé votre nom pour Heavenwood en 1996 : pourquoi ?
Il était nécessaire d’avoir une certaine logique. Nous nous sommes concentrés sur la mélodie. Nous avons tissé beaucoup de relations avec la nature, l’amour, la femme et son univers au fil des années et des siècles. Heavenwood est une forêt, c’est notre propre monde.

Êtes-vous totalement satisfaits de votre précédent album Redemption sorti en 2008 ?
Oui, après avoir fait une pause pendant quelques années, nous avons décidé de travailler sur un nouvel album, Redemption. C’était un gros défi pour nous, nous n’avions plus de label international comme par le passé avec Massacre Records. Nous avons choisi de collaborer avec un label portugais et un grand producteur, Jens Bogren, et d’avoir d’illustres invités comme Jeff Waters d’Annihilator, Gus G de chez Ozzy / Firewind et Tijs Vanneste d’Oceans For Sadness. Cet album a été distribué en Europe, nous avons alors signé un contrat avec Lance King, Nightmare Records pour la partie nord-américaine, et Iron D Records pour la Russie et l’Europe de l’Est. Le groupe a été correctement mis en avant mais nous sentions qu’Heavenwood avait besoin d’un label français comme Listenable qui travaille avec passion et amour de l’art… Ils sont aussi bons en logistique et en maths (rires).

Qu’avez-vous fait durant dix ans, entre Swallow en 1998 et Redemption en 2008 ? Le groupe existait encore pendant cette période ?
Nous avons fait quelques shows au Portugal et certains d’entre nous ont des side-projects de Rock, de Metal et même d’autres styles. Bruno Silva a été très occupé avec son studio, le 213 Studios. Il y produit de jeunes groupes portugais de Death, Black, Grindcore et Thrash Metal.

Comme d’habitude, vous avez eu recours à des invités sur votre nouvel album, peux-tu nous les présenter ?
Nous avons l’honneur d’avoir un « trésor caché » : la chanteuse Miriam de Ram-Zet. C’est une merveille et un régal d’entendre sa voix sur « Leonor », un morceau extrait d’un poème de D. Leonor (adapté en anglais).

Mais comment faites-vous pour avoir à chaque fois des guest-stars comme Jeff Waters ou Gus G sur vos disques ? C’est important pour attirer l’attention sur Heavenwood ?
Nous les invitons et dès qu’ils connaissent et aiment le groupe, ils le font pour le plaisir et par amitié. J’en suis très fier parce qu’ils sont les meilleurs dans ce qu’ils font. Pour Abyss Masterpiece, nous ne voulions pas beaucoup de guests car après nous sommes limités en live et je ne peux pas assurer 100 % des solos de guitare de Gus G et de Jeff Waters (rires) ! J’essaie, mais Jeff c’est Jeff, et Gus c’est Gus. La musique est donc faite en premier puis après ils ajoutent leur partie, mais si tu me demandes si je compose en pensant à leurs productions, alors je te réponds oui.

HEAVENWOOD

Et où avez-vous enregistré, mixé et masterisé Abyss Masterpiece ?
Nous avons travaillé avec l’allemand Kristian « Kohle » Kohlmannslehner pour le mixage et mastering. Il est très talentueux à la fois comme producteur mais aussi comme musicien. Il a donc un certain regard et il comprend ce qu’un groupe veut transmettre. Il a fait de l’excellent travail avec Crematory, Powerwolf et Benighted, et on est satisfaits de son travail pour cet album. C’était notre premier choix et on ne le regrette pas.

La musique classique semble tenir une place importante dans vos racines musicales. Comment avez-vous travaillé les arrangements classiques et symphoniques ?
Nous avons travaillé avec Dominic Joutsen, un compositeur et chef d’orchestre de Moscou. Il a été génial ! Nous partageons des goûts musicaux autres que le Metal : il n’en écoute pas, mais nous avons pris le défi avec optimisme. C’est très dur de réaliser cette fusion des genres avec des passages musicaux si extrêmes. Nous avons eu quelques problèmes au début quand nous avons démarré ces parties, on aurait dit deux albums différents joués en même temps, mais après avoir poli tout ça, nous avons découvert notre formule et cela sonnait comme des musiques jumelles.

Au Portugal, le Fado est une musique traditionnelle importante. Vous influence-t-elle quand vous composez ?
Le Fado est un sentiment lié à la tristesse, au désir, comme s’il manquait quelque chose dans ta vie. Nous essayons d’inclure cela dans notre musique sans pour autant ajouter une guitare de Fado au son si caractéristique. La guitare pleure presque, mais le guitariste possède aussi le secret de ce son. Nous l’utiliserons peut-être sur le prochain album pour certaines parties. Néanmoins, je ne veux pas que cela sonne comme un cliché : elle doit être jouée avec émotion.

Ce nouvel album est très réussi, mais n’est-ce pas tout de même un peu présomptueux et provoquant de l’avoir appelé Abyss Masterpiece ?
Le titre est une métaphore. Construire une œuvre d’art à partir d’un abysse est une tâche énorme et le titre est lié à D. Leonor qui a écrit ses poèmes toute seule dans un monastère, sans l’amour de qui que ce soit. Elle a décrit ses émotions, elle les a découvertes avec la nature, dans son être intérieur. Le titre est mal compris, comme si on se donnait une médaille, mais ce n’est pas ça ! C’est amusant car les gens vont interpréter Abyss Masterpiece à leur façon, et l’art, c’est la liberté d’expression et d’interprétation.

Est-ce difficile de jouer et d’exprimer vos émotions en live ? Préférez-vous plutôt enregistrer en studio pour créer ces sentiments sombres ?
Non, nous adorons jouer live, c’est direct ! Les émotions sont dans l’instant, ici, maintenant… Certaines émotions - autres que la folie ou la puissance - sont difficiles à partager avec le public. Nous voulons que le public écoute et ressente notre musique, puis fasse une introspection. C’est peut-être finalement plus Heavy que de la double pédale, des guitares lourdes et des growls. C’est ça notre défi !

Enfin, quels sont vos projets pour cette année ? Venez-vous nous voir au Hellfest, par exemple ?
Nous adorerions faire le Hellfest et nous voulons jouer pour tous nos fans en France car nous avons beaucoup de fans depuis Diva. De plus, il y a beaucoup de Portugais ici (rires), nous nous sentons chez nous. Les shows pour Abyss Masterpiece seront spéciaux, c’est certain !


HEAVENWOOD - Abyss Masterpiece
Listenable / PIAS


Myspace : www.myspace.com/heavenwood