Lacuna Coil


Montée d’adrénaline
... 


Retrouver les Italiens de Lacuna Coil pour un entretien en tête-à-tête au sujet de leur nouvel album, c’est un peu comme se rendre à une soirée chez de bons amis : on sait que l’on va passer un moment agréable et convivial, que l’on va discuter musique et foot (Milan AC oblige), et qu’il y aura une belle brune au cœur déjà pris à laquelle il faudra résister… Une fois passées les retrouvailles (anecdotes diverses et autres blagues italiennes sur Berlusconi et le foot donc), le célèbre duo composé d’Andrea, plus réservé mais toujours aussi sympathique, et de la très bavarde Cristina, au charme latin certain, nous avons fait le point sur leur féconde carrière et sur leur nouvel opus, Dark Adrenaline, plus sombre (forcément vu le nom) et Métal que son prédécesseur…

Interview également parue dans le Metal Obs' 51 de janv. 2012 en version éditée...
(complète ici)

Entretien avec Cristina Scabbia (chant) et Andrea Ferro (chant) par Seigneur Fred
Rechercher : dans l'interview
Votre dernière sortie officielle dans votre discographie remonte à 2008. Il s’agissait de votre DVD Visual Karma (Body, Mind and Soul) retraçant votre tournée pour l’album Karmacode. Avec du recul, qu’en pensez-vous ? Êtes-vous totalement satisfaits du produit final et du rendu des deux concerts ?
Cristina : Oui, car cela nous représente dans deux environnements différents durant nos concerts, au Japon au festival Loudpark, et en Allemagne au festival du Wacken Open Air, mais aussi dans des situations différentes (sur scène, en coulisse durant la tournée…). Au Japon, le public est plus attentif et plus calme durant les morceaux. Ils sont très respectueux envers les artistes, alors que par chez nous, en festival, tout le monde fait la fête, hurle, et boit durant les concerts ! (rires) Ce sont deux cultures différentes et justement, on voit bien ces deux aspects-là. C’était intéressant de montrer la vie de Lacuna Coil ainsi.

Le concert au Japon manque un peu de lumière et vous ne sembliez pas avoir les meilleures conditions alors que c’est pourtant l’un des pays les plus adaptés techniquement à des enregistrements de concerts…
On ne jouait pas en tête d’affiche, tu sais, c’était en début d’après-midi, en journée durant ce festival où il y avait ensuite plein d’autres groupes. Et en fait, avec le décalage horaire, il était en fait pour nous 7h00 du matin ce qui était très difficile pour nous sur scène ! On était déjà fatigués ! (rires)
Andrea : On a joué avant d’autres groupes comme Marilyn Manson, etc.
C : C’est d’ailleurs pour ça que l’on porte des uniformes, enfin du moins moi, sur scène.

Alors justement, il y a souvent cette imagerie totalitaire, militaire, voire fasciste, avec ces clichés et symboles repris bien souvent par des artistes dans le Métal. Je pense aux uniformes, à la Croix de Fer, etc. qu’affectionnent des groupes internationaux comme Slayer, Marilyn Manson, Motörhead, Black Label Society, etc. Comment vous situez-vous là-dedans vous qui jouez là-dessus parfois comme lors de ce concert au festival Loudpark alors que votre pays a connu le fascisme (cf. Mussolini entre 1922 et 1945) ?
C’est un peu facile comme raccourci mais il est évident que nous ne tolérons et n’acceptons pas le fascisme, le nazisme et tout cela. Il ne faut pas faire d’amalgame, tu sais. On vole juste certains éléments afin de mieux les critiquer ou les ridiculiser mais en l’occurrence, ce sont simplement des symboles militaires. C’est juste le look que j’avais repris sur scène, avec un côté théâtral. C’est juste une mise en scène. On ne cautionne pas du tout ces idées. Il ne faut pas trop s’arrêter à cela mais plutôt essayer d’aller plus loin et de regarder derrière sinon tu ne fais rien et ne vois que la surface des choses, et en terme de créativité, tu te censures toi-même dans ce cas. La liberté d’expression est essentielle.
A : A ce concert précisément, je ne portais pas d’uniforme. Mais j’ai une veste dans le genre depuis que j’utilise parfois, mais sur ce coup-là, je n’ai rien à me reprocher ! (rires) Mais Slipknot porte des uniformes de prisonniers, Lemmy Kilmister de Motörhead collectionne les costumes allemands, les chars, les objets, etc.

Mais vous pouvez comprendre que certains fans et le grand public puissent mal percevoir cela et faire des amalgames… ? Et au niveau visuel, Cristina, tu te mets très souvent en avant par exemple ?
C : Oui, mais on ne peut pas toujours les aider et ça fait partie du jeu. Quoique tu fasses, tu ne vas pas passer ton temps à expliquer constamment les choses aux gens. Chacun les interprète à sa manière et le ressent comme il l’entend. Nous, on fait les choses librement, avec notre cœur, et on se concentre sur notre musique. L’image est une vitrine, une glace, comme si tu allais au théâtre. L’apparat, les vêtements sont importants mais ils n’ont pas à dévier l’essence même de notre musique.

J’ai l’impression que ces dernières années, vous avez beaucoup tourné en Amérique du Nord et privilégié ce continent afin de promouvoir vos deux précédents albums, Karmacode et Shallow Life. Votre musique  s’en trouve donc changée. Est-ce une stratégie marketing ou bien une réelle volonté de votre part ?
Quand tu parts jouer en Amérique, et donc essentiellement aux Etats-Unis, tu ne peux partir que quelques jours car c’est un pays immense à parcourir pour tourner. Et on ne peut être présent à deux endroits à la fois dans le monde, c’est donc bien organisé et nous y restons plusieurs semaines voire plusieurs mois. Après, quand on revient, généralement, il est temps pour nous de travailler sur de nouvelles chansons, écrire, car du temps a passé. Et si c’est durant l’été, alors nous essayons de participer alors aux festivals européens à cette période. On voudrait jouer partout mais on ne peut pas physiquement et nous n’oublions pas le marché européen pour autant. On est obligé de séparer nos tournées pour travailler. Il n’y a que trois-soixante-cinq jours par an, je te le rappelle ! (rires)
A : Il est vrai aussi qu’un artiste essaie de se focaliser surtout là où il y a le plus de gens possibles potentiellement intéressés par notre musique, comme les Etats-Unis. En Europe, ça va, il y a un bon équilibre qui se fait naturellement. Par exemple, si tu es populaire en Grande-Bretagne dont on revient d’une mini-tournée de rodage pour ce nouvel album, alors tu es aussi connu en France, en Espagne, aux Pays-Bas, et chez nous en Italie. C’est assez homogène partout. Mais dans les grands pays, nous devons donc y aller plus longtemps et souvent et puis en Europe, les festivals permettent de maintenir cette communication d’une certaine manière. Et avec notre nouvel album, j’espère bien que l’on va aller partout ! (rires)
C : Quand tu passes tant de temps dans un endroit, c’est normal à force que tu sois inspiré directement ou indirectement dans ton travail par la suite. C’est quelque chose qui s’est fait naturellement.

 LACUNA COIL

J’aimerais à présent que l’on rectifie les choses dans le paysage musical actuel. Beaucoup de gens pensent que vous avez copié Evanescence et en fait je pense que vous vous êtes mutuellement influencés à un moment donné. Mais le groupe américain Evanescence, postérieur à vous, vous doit beaucoup. Amy Lee le reconnait d’ailleurs elle-même et avoue avoir été influencée par certains éléments de votre musique : les guitares à présent plus modernes, le duo dans le chant, surtout sur le premier album, certaines harmonies. Quel est votre avis là-dessus ?
C : On ne peut pas vraiment savoir qui a influencé qui, on est tellement dans notre truc. On ne les connaît pas et on n’en a donc jamais parlé ensemble. Je dirai qu’ils ont ouvert de nombreuses portes pour nous en Amérique parce que venir d’Italie comme nous, signé sur un label certes important mais indépendant, c’est donc plutôt bien et cool d’avoir bénéficié de la promotion de notre genre musical en Amérique à travers Evanescence qui est populaire là-bas. Je trouve certaines similarités avec nous dans leur musique mais c’est surtout lié au fait qu’il y a une chanteuse brune dans les deux groupes et qui chante dans un genre plus ou moins lyrique. On ne chante pas tout à fait pareil tout de même. Il y a chez un côté plus dramatique mais c’est bien ce qu’ils font. Mais c’est bien qu’il y ait une certaine reconnaissance de la part d’un tel groupe si populaire. C’est cool !
A : Je pense que le public sait cela et connaît notre histoire, comme quoi nous étions là avant. Il y a de nouveaux groupes chaque jour, tu sais. Nous ne nous soucions pas trop de cela à vrai dire…

En écoutant votre nouvel album, Dark Adrenaline, et depuis quelques temps déjà, peut-on définir votre musique comme du Métal alternatif à présent ?
On vient de la scène Gothic Metal au départ, quand on a démarré vers 1994. Sur notre mini-album éponyme, puis les albums In A Reverie et Unleashed Memories, peu importe, on voulait à tout prix sonner comme les groupes que l’on adulait et que l’on écoutait étant plus jeunes : Paradise Lost, Tiamat, Type O Negative, etc., tous ces groupes cultes de Gothic Metal. Ensuite, on a essayé d’intégrer différents nouveaux éléments dans notre musique, notamment à partir de Comalies et surtout Karmacode et Shallow Life qui vont dans de nouvelles directions.  On essaie de nouvelles choses, en personnalisant notre son. C’est parfois plus Rock/Metal Alternatif parfois comme tu dis, comme sur Shallow Life. Mais cela reste sombre et Gothic particulièrement sur le nouvel album Dark Adrenaline. Les trois éléments selon moi sont toujours là : le Rock, le Métal, et les atmosphères sombres, et c’est ainsi depuis notre premier EP. Ce sont les trois caractéristiques de notre son avec bien entendu le duo que nous formons, Cristina et moi.

Vous avez de nouveau travaillé avec Don Gilmore (Linkin Park, Bullet For My Valentine, etc.) à la production sur ce nouveau disque. Pourquoi avoir cessé votre collaboration avec Waldemar Sorychta après l’album Karmacode et est-ce différent de travailler avec un producteur américain ?
C : Ce n’est pas qu’il y ait une différence entre un producteur US et un producteur européen en soi mais c’est plutôt une histoire de personne. En travaillant avec quelqu’un d’autre, tu as donc un avis autre, des conseils différents, et tu apprends de nouvelles choses. Waldemar fut excellent pour nous sur les albums que nous avons faits avec lui car il ressentait exactement ce que nous voulions. Mais il était temps d’essayer autre chose, d’apprendre avec quelqu’un d’autre, un peu quand tu changes de professeur quand tu changes de classe… On voulait faire autre chose, sonner différemment, explorer, c’est pourquoi Don Gilmore s’est davantage penché sur le côté lyrique. Ce dernier nous a appris à faire des choix et à être extrêmement clair dans nos textes par rapport à la musique quand l’auditeur écoute afin qu’il y ait une bonne cohésion de l’ensemble, avec une nouvelle dynamique. Il ne doit pas y avoir trop de chants et parfois si. Les deux albums que nous avons enregistrés avec Don Gilmore sont différents l’un de l’autre. Cela prouve qu’un producteur peut tirer le meilleur de nous pour ce qui est de la musique mais ça ne veut pas dire pour autant que cela va sonner toujours de la même manière. Le but est donc de prendre le meilleur des chansons que l’on écrit et voilà à quoi sert un producteur, après peu importe sa nationalité… (rires)

Dark Adrenaline a donc été enregistré aux Etats-Unis ?
A : Non, entre l’Europe, à Milan, et les Etats-Unis. La musique a été enregistrée à Milan donc il y a déjà un moment, dans un vieux studio. Là, Don Gilmore est venu nous assister pour la pré-production durant un mois. Puis, Marco Coti Zelati (basse, claviers) et moi sommes allés en studio à Los Angeles en Californie pour les arrangements, les chœurs, mon chant, les claviers, etc. Enfin, on a réalisé le mixage à Milan avec celui qui avait mixé Karmacode, et enfin le mastering a été finalisé à Los Angeles.

Les paroles semblent cette fois plus sombres, comme l’indique le nom de l’album Dark Adrenaline…
C : Oui, tout à fait. En général les textes sont des réflexions sur des situations que nous vivons au moment de la période d’écriture ou bien avant. C’est pourquoi chaque nouvel album est différent. Dark Adrenaline est triste et sombre, c’est ce sentiment qui domine, car entre Shallow Life et le début de composition et d’écriture de ce nouvel album, beaucoup de choses se sont passées, certains d’entre nous ont vécu des choses intenses, étranges aussi. Il est donc naturel que ça ressorte dans nos paroles ou dans la musique.

Il y a une nouvelle reprise d’un groupe culte sur cet album. Dans le passé, sur Karmacode, ce fut « Enjoy The Silence » de Depeche Mode… Là, il s’agit de « Losing My Religion » de R.E.M. qui vient justement de splitter en 2011. C’est le hasard ou bien vous souhaitiez rendre hommage à ce célèbre groupe ?
Non, ce n’est pas un hommage à R.E.M., on l’a vraiment sans lien avec l’actualité. En fait, on avait commencé à en parler un an environ avant l’enregistrement. On l’a alors enregistrée et ce fut avant que la nouvelle tombe par communiqué en septembre dernier. On a osé la conserver, on était triste même étant donné qu’ils ne joueraient plus jamais ensemble, etc. ! (rires)

Les trois éléments selon moi sont toujours là :
le Rock, le Métal, et les atmosphères sombres,
et c’est ainsi depuis notre premier EP.


Et que signifient donc les intiales de R.E.M. pour voir si vous êtes de vrais fans ? (rires)
A + C : (ensemble) Rapid Eye Movement !!! (rires)

C’est une de vos influences en matière de Pop/Rock comme Depeche Mode dans les années 80/90 ?
A : Oui, c’est vrai. Quand on est enfant, on a baigné avec ce type de groupes, on faisait attention à tous ces groupes qui passaient à la radio. Mais cette chanson n’a pas eu d’influence directe sur nous et la musique de Lacuna Coil. On souhaitait simplement faire une nouvelle reprise agréable à jouer sur scène, notamment en festival. Comme ça, les gens qui nous découvrent la première fois peuvent ainsi reprendre cette chanson à notre manière. Cela aide donc à toucher un certain public. Et ce sont des groupes très respectables et qui n’ont jamais sorti de merdes dans leur carrière. On voulait donc une nouvelle et bonne chanson comme ça.

Alors dans le futur, cela vous ferait plaisir que l’on reprenne du Lacuna Coil dans ce sens ? (rires)
Oui, ça serait cool !! (rires)

Pensez-vous qu’il y aura de nouveaux grands groupes comme ça dans le futur, comme R.E.M., Depeche Mode, U2, ou bien comme Metallica dans le Metal, etc. ? Tout va si vite sur internet et les modes passent…
Oui, ça va très vite, tu as raison. C’est éphémère, et c’est dur d’exister et de durer avec ces nouveaux médias. Cela sera dur d’avoir un nouveau AC/DC, un nouveau Metallica ou Iron Maiden à long terme. Il y en a mais qui explosent en terme de succès puis implosent finalement et se séparent. Je pense qu’il y en aura un ou deux quand même à venir. Mais regarde l’exemple de Korn, ils ont été très importants durant les anneés 90/2000, ils ont inventé un nouveau son puis aujourd’hui ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes…

Oui, leur dernier album est catastrophique !
Oui, j’ai écouté. Il s’appelle The Path Of Totality, je crois. C’est du dubstep… (rires)

Pourquoi donc n’invitez-vous jamais d’artistes, de la scène Métal ou non, sur vos albums plutôt que de faire des reprises d’autres groupes ?
Parce que l’on déteste tout le monde !! (rires)
C : (rires) Ce n’est pas que l’on ne voudrait pas ou n’aimerait pas mais il n’y a pas vraiment eu de collaboration qui s’y est prêtée jusqu’à maintenant ni de besoin spécifique. Sur Dark Adrenaline, il y a un seul invité, il s’agit du percussionniste Mario Rizzo qui fait plusieurs interventions sur l’album.

Mais par internet, tout est envisageable ?
Oui, c’est vrai, mais peut-être un jour. On est déjà deux chanteurs donc c’est déjà assez compliqué comme ça ! (rires)

Cristina, tu avais d’ailleurs fait un duo avec Megadeth sur l’album United Abominations. C’était pour la célèbre chanson « A Tout Le Monde » dans sa nouvelle version. Comment s’était passée cette collaboration avec Dave Mustaine ? As-tu des détails croustillants à nous raconter… ? (rires)
A la base, j’ai reçu une demande de la part de notre management comme quoi le staff Megadeth voulait rentrer en contact avec nous afin de nous demander un duo spécial sur le titre « A Tout Le Monde ». J’ai immédiatement accepté même si je ne suis pas une fan invétérée de Megadeth et ne possède pas tous leurs albums bien sûr ! Et ce qui était surprenant, c’était mon morceau préféré de leur répertoire ! (rires) En fait, je n’ai pas rencontré Dave ni les autres gars de Megadeth car on partait seulement plus tard pour le Gigantour. Quand je me suis rendu alors en studio chez Andy Sneap pour l’enregistrement de mes parties de chant, il n’y avait que moi et Andy qui produisait l’album United Abominations. Et Megadeth rentrait déjà aux USA et je n’ai donc pas été présentée. En studio, j’ai fait pendant quelques jours différentes prises car on ne savait pas au final ce qui allait être gardé dans la chanson et comment ça sonnerait dans la nouvelle version. J’ai une version à la maison où je chante tout entièrement, uniquement a cappella avec une autre version où je chante donc tout avec la musique de Megadeth sans même les avoir vus au préalable ! (rires) C’est assez fou. Mais ensuite, on a partagé l’affiche sur la tournée du Gigantour avec Static-X, DevilDriver, Bring Me The Horizon. On a chanté sur scène avec eux, en choeur, la chanson « Peace Sells » et « A Tout Le Monde ». Ce fut génial !
A : Et sur le dernier soir, Dave et Megadeth nous ont invités dans leur loge à boire du champagne pour fêter cette collaboration, et on a fini la nuit à jouer aux jeux vidéo (rires) !


 LACUNA COIL


LACUNA COIL - Dark Adrenaline
Century Media / EMI

Myspace : www.myspace.com/lacunacoil